“Tout juste garé, vite chargé”. Telle est la promesse du Drive de l’enseigne de matériaux de construction POINT.P. Lauréat du Product Award d’argent 2024 dans la catégorie “transformation produit”, ce service en cours de déploiement en France a nécessité plus de 4 ans de travail, à la croisée des mondes du produit, du projet, du numérique et du physique. Récit dans les coulisses.
⌛ 8 min de lecture et de travaux (pratiques)
✉️ Article issu du Ticket n°107
C’était la bamboche dans les magasins POINT.P de Périgueux et Bergerac les 15 et 16 avril derniers, avec une journée d’animation pour les clients. La raison ? Le lancement du Drive !
Après ce déploiement en Dordogne, le distributeur de matériaux de construction à destination principalement des pros du bâtiment, compte 111 magasins dotés de ce service de retrait des marchandises directement depuis son véhicule. Certes, le chemin reste encore long avant d’atteindre le déploiement à l’ensemble des 1 000 “agences” (la terminologie en interne) que compte en France l’enseigne, propriété du groupe Saint-Gobain.

Malgré tout, ce résultat concrétise un projet entamé il y a 4 ans, jalonné d’expérimentations et de déconvenues. Bienvenue dans l’histoire de ce chantier au long cours.
La pandémie comme (re)déclencheur du Drive chez POINT.P
Le retrait d’une commande préalablement réservée ne date pas d’hier chez POINT.P. Il fut un temps où les équipes les recevaient par fax… imprimés sur du papier fluo pour qu’elles ne passent pas à côté ! Pas une grande réussite toutefois.
Il faut dire que la pratique est peu courante. Dans ce type de négoce, le contact humain entre le vendeur et le client est crucial. Venir chiner dans les rayons fait même parfois partie du plaisir des pros du bâtiment… à qui il arrive parfois de faire des réunions de chantier au sein de leur POINT.P !
La Covid vient toutefois changer le cours des choses. Durant cette période, afin de respecter le protocole sanitaire, les clients devaient en effet rester à l’extérieur des magasins pour récupérer leurs marchandises. Une expérience de click and collect par défaut qui donne une idée à l’équipe numérique fin 2021, au sortir de la pandémie : et si ces nouvelles habitudes de commandes par Internet n’étaient pas l’opportunité de relancer le Drive, en revoyant l’expérience globale ?
Même si la pratique est minoritaire au sein de cette clientèle, elle apporte cependant une solution à un problème courant dans ce type de commerce : le temps d’attente pour récupérer ses matériaux quand on les achète sur place.
Autrement dit, l’objectif premier de ce projet est la satisfaction client. Un sujet cœur pour POINT.P, chez qui le NPS (Net Promoter Score, un indice de recommandation d’une marque) fait partie des bonus des collaborateurs.

Ce chantier a même une visée plus large : en cas de succès, le dispositif pourra être déployé à d’autres enseignes de l’entité Saint-Gobain Distribution Bâtiment France, notamment Dispano (bois) et la SFIC (plâtre).
Plus d’un an et demi d’itérations pour la conception du Drive
La première étape ? Réaliser un benchmark en menant des “ethnos”, c’est-à-dire des tests clients, dans une douzaine d’enseignes de la distribution, comme Carrefour, Leclerc, Boulanger, Ikea mais aussi Leroy Merlin ou Brico Dépôt. L’occasion de voir les bonnes pratiques mais aussi les limitations propres à POINT.P.
“Contrairement à d’autres acteurs, on ne pouvait pas dédier des personnes spécifiquement au Drive, ce qui est problématique en cas d’absence. Il fallait que tout le monde porte le sujet”, illustre Marine Lemahieu, spécialiste du parcours client chez POINT.P, au sein de l’équipe marketing.
Cette dernière commence alors à écrire les grandes lignes du cheminement des clients Drive dans la cour extérieure des magasins. En gardant en tête une complexité supplémentaire : la diversité des 1 000 agences POINT.P dans l’hexagone. Dit autrement, il fallait créer un parcours qui s’adapte aussi bien à un site de 1 000 m2 avec deux personnes qu’à un magasin de 20 000 m2 et une trentaine de salariés.

Avec l’équipe numérique, elle sillonne alors les agences en France afin de voir sur place l’organisation optimale qui permettra de préparer les commandes, l’enjeu principal à ce stade. Une imprégnation du terrain qui donnera lieu à plusieurs itérations, sur des complexités insoupçonnées.
Exemple concret. Comment faire en sorte que les magasiniers soient alertés lorsqu’un client Drive est arrivé ? La première expérimentation : une sonnette. Tout simplement. Résultat : un fiasco.
Non seulement, la réponse était loin d’être immédiate. Mais, en plus, cela générait une perte de temps pour le magasinier qui devait chercher le client puis lui demander sa commande avant de pouvoir lui amener. Sans compter le coût du branchement électrique de cette sonnette, à multiplier potentiellement par les 1 000 magasins.
C’est à l’agence d’Aubervilliers que la solution est finalement trouvée. Depuis quelques années, l’ensemble des magasiniers de POINT.P sont équipés de PDA (Personal Digital Assistant), un petit terminal portable connecté à l’ERP interne pour suivre les commandes, dont l’interface a été développée en interne.
L’idée : dès que le client arrive pour récupérer sa commande, il clique sur un lien reçu par mail ou sms afin de signaler sa présence. Ce qui déclenche immédiatement une notification sonore et visuelle sur les PDA des magasiniers.

Avec la DSI, l’équipe numérique a même développé une fonctionnalité qui permet au magasinier de dire qu’il s’occupe de la commande. Le client voit alors qu’il est pris en charge, avec la personne qui s’occupe de sa marchandise (l’écran “Gérard est en route” ci-dessous).

Autre difficulté survenue en chemin : la place de stationnement des clients Drive. Plusieurs tests ont été effectués à l’agence de Six-Four-les-Plages, dans le Var. Las. Ils se révèlent tous infructueux.
La solution, venue là encore du terrain ? Numéroter toutes les places de la zone de retrait, là où les clients, Drive ou non, se rendent déjà naturellement pour récupérer leurs marchandises. Et demander au client Drive d’indiquer son numéro lors de sa venue, via son lien de commande (cf écran ci-dessus).
En prenant bien soin de réutiliser les mêmes termes (“zone de retrait” par exemple) aussi bien sur les mails et le sms de la commande, que dans la signalétique physique.
“Pour aller vite, on avait même autorisé les agences à bomber les chiffres de leurs places plutôt que d’attendre la venue d’un prestataire”, précise Amandine Raoul, Lead Product Manager de POINT.P, au sein de l’équipe numérique.
Certains magasins ont bien une place orangée dédiée sur leur parking… mais cela est juste à des fins de publicité pour faire connaître le service.

Amandine se souvient aussi d’autres ajustements effectués à la suite de discussions dans les agences.
“Normalement, il y a un délai minimum de 2h entre une commande Drive et son retrait. Sauf qu’on s’est rendu compte qu’il y avait moins de personnel l’après-midi. Nous avons donc bloqué le système pour qu’une commande après 14h ne soit récupérable qu’à partir du lendemain matin”, explique l’ancienne consultante de Thiga.
Il a également été décidé de ne rendre accessible en commande Drive que les produits en stock en magasin, afin d’éviter que les clients viennent récupérer leur marchandise… alors que le magasinier doit se la faire livrer au préalable.
Codes promo, achat de services associés, prise en compte de la diversité des types de véhicule des clients (qui ne se chargent pas de la même manière)… Marine Lemahieu ne compte plus le nombre d’adaptations qui ont dû être menées à partir du moment où a été lancé le pilote.
“En 12 ans chez POINT.P, c’est de loin mon produit le plus long ! Ça a été plus d’un an et demi de travail très intense”, indique celle qui connaît désormais comme sa poche l’agence du Mans, qui a été très collaborative lors de cette phase de pilote.
Au point de failli avoir baissé les bras à un moment, à force de pédaler dans la rillette.
Ce qui lui a donné un second souffle ? La décision du Directeur Général Ile-de-France de déployer le Drive à l’ensemble de ses 65 agences !
“Il nous a donné une vitrine extraordinaire”, poursuit-elle.

Précisons ici qu’Amandine et Marine font partie des équipes transverses, au siège national de POINT.P. Sous-entendu : elles ne peuvent pas imposer aux agences de déployer le Drive. Il n’y a pas de lien managérial, ce n’est basé que sur le volontariat.
“Tant qu’on n’a pas le go des chefs d’agence, du directeur de site voire de la direction régionale, on ne peut pas avancer”, complète Amandine.
Finalement, fin 2023, 120 agences sont déployées, plus aucun bug n’est constaté, pour un délai moyen d’enlèvement de la marchandise entre l’identification du client sur sa place de parking et la signature de son bon sur le PDA du magasinier de 4,35 minutes (sur un objectif de 5 minutes).

La gestion du changement, planche de salut du déploiement du Drive
Il reste toutefois un défi de taille : le taux de préparation des commandes Drive, qui peine à dépasser les 30 %. Dit autrement, dans 7 cas sur 10, quand un client arrive, le magasinier commence à s’occuper de sa marchandise, comme s’il l’avait acheté au comptoir de manière traditionnelle. Ce qui peut potentiellement dégrader le NPS.
Début 2024, Nicolas Godet, le Directeur Général de POINT.P fixe un objectif : tant que ce taux ne dépasse pas 50 %, aucune autre agence ne sera déployée. Après la phase de conception du produit, place au Product marketing et à l’optimisation du Go-to-Market pourrait-on dire en reprenant le jargon du product management dans la startup nation.
L’année entière sera ainsi consacrée à la pédagogie et à la formation des équipes.
“Si tu ne mènes pas ce projet avec le terrain, ça ne fonctionne tout simplement pas. Il faut les embarquer et les mettre au cœur de la construction”, témoigne Amandine. “Sachant qu’il ne faut pas oublier qu’ils n’ont pas que les sujets d’Amandine et de Marine au quotidien dans leur agence”, ajoute Marine.
Retour sur “le carrelage” donc pour comprendre d’où vient le problème. La réponse des équipes quand on leur demande pourquoi les commandes ne sont pas prêtes ? “On ne les voit pas”. C’est ainsi à ce moment que sont développées la bulle et l’alerte visuelle dans le PDA, impossible à supprimer tant que la commande n’a pas été prise en charge.

Bilan : un frémissement… mais le compte des 50 % n’y est toujours pas. “On réalise alors que le vrai sujet, c’est l’organisation humaine interne”, constate Marine. Qui doit se battre contre une somme de clichés répandus au sein des collaborateurs : “les clients ne passent pas de commandes par Internet”, “le Drive ne les intéresse pas” ou “ça ne marchera pas dans notre agence”.
“Quand on arrive et qu’on leur montre que le mois dernier, ils ont eu une cinquantaine de commandes et le chiffre d’affaires que cela représente, ils tombent des nues”, confie-t-elle.
Pour combattre la force des habitudes et des idées reçues, plusieurs solutions sont adoptées.
Tout d’abord, des “oxygénations”, c’est-à-dire des retours d’expérience entre chefs d’agences ou avec d’autres acteurs de la distribution, afin de leur apporter des points de vue différents.
Par ailleurs, des sessions de formation sont organisées. “On ne leur présente pas 10 000 slides, c’est très opérationnel”, souligne Amandine. Concrètement, chaque agence est visitée une par une le temps d’une demi-journée, avec, généralement, des sessions 30 minutes par petits groupes de 2 à 3 personnes. Le temps de se mettre dans la peau du client et de passer une commande Drive en ligne, en voyant ce qui se passait en même temps sur leur PDA.

Un effort de longue haleine. Mais payant : le taux de préparation dépasse aujourd’hui les 60 %. Les agences qui ne jouent pas le jeu, elles, se voient retirer leur option drive des systèmes informatiques (elles peuvent juste recevoir des commandes Internet classiques, en livraison ou à retirer au comptoir). Une sentence décrétée pour 11 d’entre elles en janvier dernier.
Fort de ces résultats, le déploiement du Drive a donc repris en France. Avec, parfois, de belles surprises. “Quand je suis repassé au Mans, j’ai découvert que les magasiniers étaient devenus les plus gros promoteurs du Drive auprès des clients qui se plaignaient du temps d’attente de la préparation de leur commande achetée en agence”, remarque Marine.
Sachant que chez POINT.P, les clients Drive sont prioritaires : les magasiniers doivent privilégier leur préparation par rapport aux autres.
La reprise des ouvertures de Drive POINT.P en France
Place maintenant au passage à l’échelle. Pour ce faire, ce ne sont plus Amandine et Marine qui s’occupent des formations des nouvelles agences depuis cette année mais les responsables des services digitaux de chaque région.
“Le Drive est un sujet omnicanal mais, dans la formation, le personnel a essentiellement des questions sur le dispositif numérique”, détaille Amandine.
Aussi, au lieu de lancer une seule agence à la fois, les équipes préfèrent déployer un ensemble de magasins d’un même site. Ce qui permet d’être plus efficace en termes de management, avec des chefs d’agence qui ont la possibilité d’échanger sur leurs enjeux concrets. En juin, cela sera ainsi au tour de Dunkerque et Compiègne. Puis, en juillet, des 3 agences autour de Marseille.
Enfin, la communication est désormais mieux rodée avec de la signalétique dédiée (oriflammes, “stop rayon” sur les machines à café, affiches…) et des campagnes de mailing, de sms ou sur les réseaux sociaux. Voire des événements dédiés lors des lancements (petit dej’, barbecue, food truck…).

Pour quel “driver” business ? “Il s’agit surtout d’une démarche qualitative d’amélioration de la satisfaction client”, répond Marine. Même si les équipes ont un tableau de bord de suivi des commandes Drive, elles ne mesurent toutefois pas si un client aurait passé sa commande sans cette option.
“On s’est malgré tout rendu compte que cela a permis d’attirer un peu plus de particuliers, qui ont l’habitude du Drive pour leurs courses et qui l’utilisent pour récupérer leur Vélux, leur sac de parpaing ou de colle”, précise Amandine.
À l’image de l’influenceur réno de la chaîne Youtube Rachel & Emilien, qui lâche spontanément dans une vidéo lorsqu’il achète du ciment :
« Franchement POINT.P, ils ont bien évolué. Je commande dans l’appli et je viens récupérer… c’est comme quand je commande à manger ».
Une consécration.

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