En novembre dernier, la plateforme de santé française a célébré ses 10 ans, en dégainant un outil de communication d’envergure : une keynote produit. Camille Ovanon Lacrimini, sa responsable du Product Marketing raconte l’envers du décor. Récit.

⌛ 10 minutes de lecture en backstage

 ✉️ Article issu du Ticket n°078

Des paillettes dans les yeux. Lors du Product Marketing Summit tenu à Paris le 26 mars dernier, Camille Ovanon Lacrimini voit le regard de ses pairs s’illuminer quand elle prononce le mot de “keynote” produit. La Head of Product Marketing et Product Knowledge de Doctolib vient en effet d’organiser la première de l’histoire de la licorne française, connue pour sa célèbre plateforme de rendez-vous médicaux.

Il faut dire que cet exercice de grand raout produit, popularisé par Apple et les légendaires “One more thing” du bon vieux Steve, est un peu le graal des Product Marketing Managers, en tant qu’occasion de mettre le produit sur le devant de la scène.

Des paillettes dans les yeux (Kevin) mais une grosse boule au ventre quelques mois plus tôt. Petit Flashback.

Camille Ovanon Lacrimini derrière sa blouse

Keynote produit de Doctolib : La naissance de l’idée

Tout commence au point trimestriel de Q2 2023 de Camille et son boss, Nicolas Zullo, Senior Director Product Marketing, Strategy & Operations de Doctolib, dans la boîte depuis plus de 8 ans. Les deux se connaissent bien. C’est lui qui l’a recrutée il y 5 ans.

En tant que fans d’Apple, ils s’envoient chaque année les keynotes de Tim Cook et consorts, en guise de running joke. “Si un jour on pouvait faire ça, ce serait fou”. Sauf que, lors de cette réunion, le ton n’est plus à la blague. “Camille, est-ce qu’on n’a pas tous les éléments pour vraiment le faire cette fois ?”

Alignement des planètes. Pour le contexte, l’équipe Product Marketing de Docto est passée il y a un an du marketing au produit. Elle a donc désormais accès facilement au Chief Product Officer (CPO) et à l’ensemble des Product Managers et Product Directors. De plus, Doctolib s’apprête à fêter ses 10 ans et à sortir de grosses fonctionnalités : la communication groupée pour les pros de santé (pour partager des campagnes de prévention par exemple) et la messagerie patient (dont les coulisses sont racontées par son Product Manager Guillaume Denolle dans cet épisode du podcast Épique).

La communications groupée dans l’outil de Doctolib (source)

“Sur le principe, c’était une très bonne idée, d’autant qu’on savait qu’on allait avoir un gros enjeu d’adoption et donc de communication sur la messagerie. Mais, sur le moment, j’étais paniquée à la perspective d’en faire l’objectif de mon trimestre !”, concède Camille Ovanon Lacrimini. Challenge accepted malgré tout.

Étape 1 : Obtenir l’adhésion du département produit

Par où commencer ? Réponse : l’adhésion des équipes (le buy-in si tu préfères). Difficile de faire une keynote produit si le département produit n’est pas lui-même convaincu.

En juillet et en août, Camille et Nicolas vont ainsi “vendre” cette idée autour d’eux. Les Product Managers ? OK. Les Product Directors ? OK. Le pitch fait mouche. Le CPO, qui est aussi accessoirement le CEO et cofondateur Stanislas Niox-Chateau ? “Si les PM et les Product Directors sont OK, c’est bon pour moi”. L’idée de keynote est validée.

Le choix de la qualité produit. Une décision pas si anodine qu’elle en a l’air, surtout pour un CEO. En juin, la messagerie patient est entrée en phase de bêta test, pour une sortie prévue en septembre.

“Sauf que si on la sort avant la keynote, on ne peut plus en parler à la keynote”, explique Camille.

Il faut donc faire accepter qu’une équipe produit travaille un trimestre de plus sur une fonctionnalité qui pourrait sortir dès maintenant – et ce que cela induit en termes de pépettes. “Notre argument a été de dire qu’il valait mieux sortir une fonctionnalité ouf en novembre plutôt qu’un MVP ++ en septembre, se rappelle Camille. Cela servirait en effet l’adoption et l’usage.”

Une décision facilitée également par l’absence de ligne business associée à cette fonctionnalité, qui est offerte aux praticiens dans leur package. Autrement dit, cela ne mettait pas en péril le modèle éco de Docto.

Étape 2 : Construire une histoire à raconter

En septembre, on sait qu’on va organiser une keynote produit chez Doctolib. Mais sur quoi ? “Plein d’éléments collaient ensemble. Il y avait les fonctionnalités messagerie patient et communication groupée qui allaient être prêtes. Mais on s’apprêtait également à célébrer les 10 ans de Doctolib”, énumère Camille.

Qui dit anniversaire, dit rebranding. Donc nouveau design de l’agenda de prise de rendez-vous médicaux, qui n’avait pas grandement évolué visuellement depuis son lancement en 2013. Fin septembre, la matière à mettre à l’intérieur du paquet cadeau de la keynote est ainsi trouvée. Le thème ? Welcome to the new Doctolib. Avec le dévoilement du nouveau logo, du rebranding et des nouvelles fonctionnalités.

Friction. Problème : dans la roadmap, le redesign est prévu pour janvier. Autant, il est facile de convaincre les PM de la messagerie patient de travailler deux mois de plus sur leur fonctionnalité. Autant, c’est une autre paire de manches pour celles et ceux à qui on retire deux mois au cours du dernier trimestre ! “Clairement, ils n’ont pas eu la même expérience et le même ressenti sur la keynote”, admet Camille.

Étape 3 : Le déroulement de la keynote produit de Doctolib

À partir de septembre, un comité de suivi est mis en place et se retrouve toutes les semaines pour faire des points d’avancée. Il comprend les Product Marketing Managers de chaque fonctionnalité concernée mais également les équipes marketing locales en France et en Allemagne.

Il est en effet décidé d’organiser deux keynotes en France et en Allemagne avec un message commun mais des variantes, du fait des différences de cultures et de pratiques de santé entre les deux marchés phares de Doctolib.

Jour J. Le 23 novembre, c’est le grand jour. À 13h, Doctolib invite les praticiens, des prospects et la presse à se connecter en ligne pour le grand dévoilement… via une vidéo pré-enregistrée. 

La vidéo de la keynote

La scale-up française n’a en effet pas souhaité organiser une grand-messe en physique et en direct – même Apple ne le fait plus.“Techniquement, c’est plus facile à gérer de cette façon, d’autant que ce n’est pas notre métier de base,” indique Camille. Par exemple, pour une prise de parole d’une petite dizaine de minutes de vidéo, il faut bien souvent plusieurs heures d’enregistrement. 

Ce qui évite aussi le fameux “démo effect”, quand le produit fonctionne normalement en temps normal… sauf lors de la démo officielle en public (n’est-ce pas Elon et Bill) ! “Rien n’était dispo en prod’ donc j’ai tout fait en staging pour faire les captures d’écran des nouveautés. Et une fois sur deux, j’avais un message d’erreur donc pour 1 minute de démo, j’ai dû faire 2h d’enregistrement !”, sourit Camille.

Le demo effect d’Elon

3 000 personnes se connectent le jour J. Le soir, Doctolib organise toutefois des apéros dans 8 villes en France avec, à chaque fois, 200 de leurs utilisateurs praticiens. 

L’occasion pour des Product Managers et des Product Marketing Managers volontaires de monter sur scène pour répondre à leurs questions en direct. “On avait formé tout le monde sur les nouvelles fonctionnalités et sur les questions que l’on nous pose la majeure partie du temps”, précise Camille, qui s’est, elle, faite cornerisée une bonne vingtaine de minutes par un médecin sur la question des patients qui ne venaient pas à leur RDV !

Déploiement progressif. Dans la vidéo de la keynote, Maud Pennaneac’h, la directrice produit qui présente les nouveautés indique habilement qu’elles seront disponibles “dès la semaine prochaine”. Sans donner de date précise. Le but : se donner de la marge pour le temps de déploiement. Camille se rappelle de la dernière semaine de rush, dans le bureau de Berlin de Doctolib.

“C’était la NASA ! On est tous dans une salle et l’Engineering Manager décrit le taux de déploiement : 60 %, 75 %, 100%… Ce mélange d’adrénaline et d’excitation, de larmes et de chair de poule, fait partie de mes souvenirs les plus forts chez Doctolib”.

Keynote produit de Doctolib : Quel bilan ?

Cette première keynote s’est-elle bien passée ? Spoiler : Doctolib organise la prochaine fin mai. Ce qui donne un premier élément de réponse.

Entrons dans les détails concrets.

  • Objectif 1 : amplifier la communication externe → plutôt atteint

La communication externe est évidemment l’une des retombées majeures d’une keynote produit. Doctolib se montre plutôt satisfait de ce point de vue, autant au niveau de la participation le jour J que des retombées presse générées (difficile à obtenir en temps normal pour des annonces produit).

  • Objectif 2 : Faciliter l’adoption des fonctionnalités → bof

“Autant cela a donné de la visibilité à ces nouvelles fonctionnalités, autant cela n’a pas trop joué sur leur adoption, si l’on compare avec les chiffres des lancements plus classiques”, précise Camille. 

  • Objectif bonus : Créer un momentum en interne → atteint

L’alignement interne, voici la bonne surprise de cette keynote. “En temps normal, c’est difficile d’avoir l’attention de tout le monde en interne. Là, tu crées un momentum et un sentiment d’appartenance au sein de la boîte”, explique Camille.

Un indicateur marquant ? Généralement, 700 personnes viennent se former tous les mois aux nouvelles fonctionnalités de Doctolib. En novembre, ce chiffre est monté à 1 500 (sur une boîte de 2 700 personnes) !

“Lors du retour d’expérience de la keynote effectuée en janvier, personne n’a émis de réserve pour continuer à en organiser. Il n’y a pas de meilleure preuve”, conclut Camille. Mieux : il a été décidé d’organiser désormais deux keynotes par an.

Quels apprentissages ?

En guise de conclusion, on a demandé à Camille de nous livrer ses conseils et enseignements à la suite de cette première keynote (si jamais tu souhaites te lancer toi aussi dans l’aventure avec ton jean et ton col roulé noir).

  • Un outil très puissant pour communiquer au-delà du côté purement fonctionnel

“Une keynote te donne une fenêtre de tir pour communiquer à grande échelle sur l’histoire que tu souhaites raconter”, résume Camille. Autrement dit, c’est un puissant outil de communication pour envoyer un message plus profond qu’une simple notice d’utilisation d’une fonctionnalité.

En l’occurrence, Doctolib souhaitait montrer que ce n’était plus qu’un simple outil de prise de rendez-vous en ligne, son produit historique. D’où le “Welcome to the new Doctolib”.

“Tu as une audience qui est captive pendant une trentaine de minutes donc tu peux lui raconter l’histoire que tu veux. Cela donne l’occasion d’accroître la valeur perçue de ton produit en communiquant sur plusieurs fonctionnalités d’un coup”, complète Camille.

Une keynote permet ainsi d’en dire moins mais mieux.

“C’est également l’occasion de personnifier ton approche et de diffuser tes valeurs aux utilisateurs”, ajoute Camille. Comme un discours de mariage en somme : tu réunis tout le monde et tu te présentes sous ton meilleur jour.

  • Une confiance à gagner en interne au préalable

Pour Camille, les keynotes ne sont pas accessibles à toutes les équipes Product Marketing : il faut d’abord avoir fait la preuve de sa valeur auprès du Product Management. 

“Cela a pris du temps pour montrer aux Product Managers à quoi on servait. Tant que le cycle de release de fonctionnalités ne fonctionne pas correctement, ce n’est même pas la peine d’envisager l’organisation de keynotes”, détaille-t-elle. 

Comme on l’a vu, la première étape est d’obtenir l’adhésion des équipes et de la direction. Et ensuite, il convient d’insuffler un tempo aux Product Managers, voire, comme on l’a vu pour l’équipe chargée du rebranding, d’ajouter des contraintes. Ce qui n’aurait pas été possible chez Doctolib si le Product Marketing n’était pas passé dans le département Produit.

  • Une nécessité : disposer d’une roadmap

Cela tombe sous le sens mais pour organiser une keynote, il faut avoir quelque chose à dire… donc une visibilité sur les nouveautés à venir dans les prochains mois. Autrement dit, disposer d’une roadmap à un an, au moins grosse maille.

En janvier, Camille a ainsi rencontré les Product Directors de Doctolib afin de voir les projets éligibles aux prochaines keynotes. “L’enjeu est d’arriver à trouver le bon timing afin que les fonctionnalités intéressantes soient prêtes sans avoir à les garder sous le coude pendant 4 mois”, précise-t-elle. Un document partagé est alors créé pour suivre l’avancée des fonctionnalités choisies. 

Il y a quelques semaines, Camille a d’ailleurs eu une heureuse surprise : un Product Manager est venu la voir pour lui demander les critères pour faire partie de la release de mai. “Ça m’a fait super plaisir, c’est la première fois que l’exercice se fait dans ce sens…”, se réjouit-elle.

  • Une histoire plus cohérente pour la V2

Pour la prochaine keynote, en mai, Doctolib va toutefois impliquer plus de personnes. Afin d’ajouter plus de liant à l’histoire racontée. “L’enchaînement des fonctionnalités faisait un peu liste de courses en novembre. Pour la 2e keynote, on vient de valider une histoire plus globale en regardant les points communs entre les différentes fonctionnalités”, confie Camille.

Au lieu de travailler dans son coin, elle co-écrit cette fois l’histoire avec les équipes Brand et Design. “J’ai donné les grandes lignes de l’histoire aux Product Marketing Managers et je leur ai demandé d’écrire un chapitre de ce livre avec leur fonctionnalité”, précise-t-elle. 

Autre nouveauté : elle est sur le point d’embaucher une personne dont la mission portera sur l’organisation des keynotes à part entière. Preuve que l’exercice n’en est qu’au début chez Doctolib.


Voici quelques autres exemples de keynotes produit :