Depuis le 7 avril, les lecteurs et lectrices du Monde ont vu s’afficher un petit “English” en haut du site. Juste un bouton ? Hum… Plutôt un projet de 5 mois dont on te raconte les coulisses avec 3 responsables produit.

C’est quoi Le Monde in English

C’est la nouvelle édition numérique en anglais du quotidien de référence français. Pas d’articles inédits mais de nombreuses traductions venant du site français. Objectifs ? “Proposer au monde anglophone une vision française et européenne de l’actualité et […] élargir le bassin de recrutement de nos abonnés”, selon le directeur délégué Gilles Van Kote. French Touch.

Comment est née cette idée du Monde in English ?

Quentin Leredde (Directeur adjoint produit et audience) : Pour resituer le contexte global, notre modèle économique est structurellement bénéficiaire ces dernières années. Nous comptons 450 000 abonnés numériques et, en comptant l’édition papier, 540 000 abonnés totaux. L’objectif est d’atteindre le million d’ici 2025. La question : comment faire, sachant qu’on atteindra bien un jour un plafond en France?

On a commencé par lancer Le Monde Afrique en 2015 pour accroître notre lectorat francophone. Et, comme il y a 4 fois plus de locuteurs anglophones dans le monde, que 15 % des visites sur lemonde.fr viennent de l’étranger et que 88% des abonnés à des médias étrangers connaissaient déjà la marque Le Monde, on a vu une opportunité pour toucher cette cible de lecteurs anglophones.

En septembre 2021, le directoire du Monde a ainsi acté la création d’une édition en langue anglaise. On a donc recruté une squad dédiée pour monter le projet avec l’objectif de se lancer avant les élections françaises, un moment d’actualité fort aux yeux de l’étranger.

The World is mine

Quels étaient les enjeux produit à résoudre sur ce projet ?

Albane Maire (Product Manager de la squad du projet) : Je suis arrivée en octobre dans cette squad qui compte un tech lead et deux dev’, front et back. La première question concernait le site. Au lieu d’en refaire un de zéro, on est parti sur l’option du site miroir. C’était la solution technique la plus simple, d’autant que le site français fonctionne déjà très bien.

Deuxième enjeu : le CMS, la plateforme d’édition d’articles où les journalistes allaient pouvoir vérifier et publier les articles traduits. Après plusieurs discussions, on a décidé de créer un CMS anglais indépendant de celui en français. Cela nous permettait de ne pas créer de frictions avec l’existant. Tout en ajoutant des fonctionnalités propres, comme l’intégration du processus de traduction, faite par un outil d’intelligence artificielle et des traducteurs et journalistes natifs. Néanmoins, il fallait envisager des connexions entre les deux, pour que les mises à jour de l’un se répercute sur l’autre.

On imagine que les journalistes étaient tes utilisateurs finaux ici, non ? Des parties prenantes pas très communes pour des PM…

Albane Maire : Exactement. Ce sont eux qui utilisent ce backoffice donc il fallait les impliquer dès le début. On a donc construit la solution avec eux, ils étaient clairement forces de proposition et on se faisait des points réguliers d’avancement.

Equipe Le Monde in english
la Triforce Quentin, Albane et Chloë (de gauche à droite)

Et est-ce que vous avez dû mener des modifications au niveau de la partie abonnement et offre commerciale ?

Chloë Veyrie (Product Manager dans la squad abonnement) : En effet, je dirais qu’il y a eu 3 axes d’innovation sur ce sujet.

Tout d’abord, dès octobre, on a commencé à construire avec l’équipe marketing des offres d’abonnement spécifiques. On a décidé de segmenter en fonction de la provenance géographique, ce qui n’existe pas sur la version française. Ce qui se traduit aujourd’hui par 3 offres différentes (US/Canada, France et reste du monde).

Ensuite, il a fallu développer une fonctionnalité d’écosystème utilisateur multilingue. C’est-à-dire que, selon l’utilisateur qui se connecte sur le site du Monde et sa langue de préférence, l’ensemble du parcours va être adapté. Du site en tant que tel au tunnel de conversion. Avec toute la question de la priorisation des pages et des écrans à traduire et à adapter.

Enfin, pour pouvoir gérer l’ensemble des moyens de paiement à l’international, on a mis en place Stripe. Cela représente un enjeu de taille pour nous puisque nous avons décidé à cette occasion de migrer même le site français via cette solution de paiement, par souci de cohérence et d’uniformisation.

Avez-vous fait des itérations avant le lancement officiel, qui a eu lieu, on le rappelle, le 7 avril dernier ?

Albane Maire : Déjà, on avait une liste de fonctionnalités incontournables à concevoir absolument avant la sortie. Comme on avançait bien, on a réussi à en ajouter de nouvelles en cours de route.

Ensuite, dès février, on est rapidement passé sur une production cachée pour tout déployer en environnement de test. Ce qui nous a permis de nous assurer que tout le paramétrage de la gestion des traductions, entre la France et les Etats-Unis, puis la relecture d’articles, se passait bien.

On était donc prêts le 7 avril. On lance à midi et, à 18h, on se rend compte d’un bug critique : certains abonnés ne pouvaient pas accéder aux contenus. A 18h45, on a fait une dernière mise en prod’ pour le résoudre… avant de profiter de la soirée ! Donc, grosso modo, cela s’est plutôt bien passé.

L'équipe entière du Monde in english
L’équipe “LMIE” sur le toit du Monde

Et maintenant, quelles sont les prochaines étapes ?

Quentin Leredde : Je ne peux pas détailler les chiffres mais on a atteint nos objectifs d’audience pour ce premier mois. Le défi est maintenant de la développer et de nous faire connaître. Ce qui est un peu l’inverse de la France où l’on jouit d’une grande notoriété et où l’on se concentre plus sur la fidélisation. On ne travaille donc pas sur ces deux produits de la même façon.

A l’international, on est vraiment en mode discovery en continu pour apprendre des premiers retours des lecteurs. On a fait une première itération pour lancer le projet et voir si ça marche. Maintenant, on part sur une autre échéance pour enrichir notre produit. Il y a évidemment la question de l’application mobile qui va se poser – Le Monde in English est seulement disponible en version Web pour le moment. Et il n’est pas impossible que l’on challenge notre architecture initiale pour la rendre plus scalable.

Au niveau de l’orga, on a pérennisé le poste et la squad d’Albane, tout en recrutant une personne dédiée au marketing pour l’acquisition et la fidélisation.

Chloë Veyrie : Depuis le lancement, on a aussi monté une offre d’abonnements couplée avec le New York Times. Et on a travaillé avec le service client pour mettre en place un questionnaire pour les lecteurs afin de pouvoir les contacter et comprendre leurs ressentis. 

Sachant que vous n’êtes pas les seuls responsables du “produit” Le Monde in English. Le travail des journalistes est au moins aussi important dans la perception des lecteurs, non ?

Chloë Veyrie :  Oui et c’est pour cela que l’on continue à travailler étroitement avec eux. On leur indique par exemple ce que les lecteurs trouvent le plus intéressant. En l’occurrence l’actualité plutôt que les reportages visiblement.

Mais il ne faut pas croire non plus que nous avons un rôle secondaire au produit. On a découvert par exemple que nos règles d’articles payants et gratuits sur le site en France ne correspondaient pas tout à fait aux habitudes aux Etats-Unis. Là-bas, les lecteurs sont plus habitués à disposer de quelques articles en gratuit avant de devoir s’abonner pour en lire plus. Cela nous amène beaucoup de nouvelles questions…