Arriver à vendre ses innovations au marché de masse, en franchissant l’inévitable vallée de la mort : telle est la promesse de Crossing the Chasm, du consultant américain Geoffrey A. Moore. Une véritable référence en marketing produit qui a inspiré des générations de leaders. En voici la synthèse des enseignements marquants.
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Ce que tu vas apprendre dans ce résumé de Crossing the Chasm :
1- Les 5 groupes de la courbe d’adoption des innovations (innovateurs - visionnaires - pragmatiques - conservateurs - sceptiques)
2- La notion d’abîme (“chasm”) : le cimetière de beaucoup de startups qui croient être en train d’atteindre le marché de masse
3- Comment franchir cet abîme en 3 étapes (segment de niche > produit complet > “création” de concurrence)
Pourquoi tant de startups ont échoué alors qu’elles étaient sur la voie de la réussite ? Car elles n’ont pas réussi à franchir l’abîme qui mène au marché de masse, l’oasis des entreprises établies.
Un sujet qu’attaque frontalement le livre Crossing the Chasm de Geoffrey A. Moore, sorti en 1991 mais réédité deux fois depuis (en 1999 et 2013). Vendu à plus de 300 000 exemplaires, l’ouvrage est un guide incontournable pour quiconque travaille de près ou de loin sur des sujets d’innovation.
Dédié exclusivement au marché du B2B, il décrypte avec clairvoyance et humour (certes avec un prisme très américain) l’illusion des startups qui croient avoir atteint l’eldorado dès la première phase d’hypercroissance… alors qu’elles ne sont qu’à l’entrée de la vallée de la mort.

Intro - Qu’est-ce que le “chasm” ?
“Crossing the chasm” peut se traduire en français par “traverser le gouffre” ou “franchir le fossé”. On a toutefois choisi dans cette fiche de lecture le mot “abîme” qui décrit aussi bien la faille physique que le cimetière symbolique de beaucoup de startups.
“Crossing the chasm” est en effet la traversée de la vallée de la mort pour une entreprise tech. Ce passage périlleux entre un marché d’early adopters et le marché de masse. Le chemin nécessaire vers le succès.
“Trop souvent ignoré, l’écart entre ces deux marchés est si significatif qu’il mérite d’être appelé un abîme. Son franchissement doit être l’objectif principal de toute entreprise tech, écrit Geoffrey A. Moore. Comme un bernard-l'hermite qui a grandi au-delà de sa coquille, l'entreprise qui traverse cet abîme doit se dépêcher de trouver son nouveau foyer car, durant cette transition, elle sera vulnérable à toutes sortes de prédateurs.”
Véritable boussole durant cette traversée, ce livre rappelle qu’il est moins question ici de génie ou de coups risqués et audacieux - contrairement aux récits faits a posteriori des grandes réussites tech qui nourrissent leur mythologie. Mais plutôt d’alignement, de méthode et de constance dans l’application d’un plan.
1. La courbe d’adoption des innovations : le fondement du marketing tech
Commençons par la base du livre : la célèbre courbe d’adoption des innovations. Un modèle qui décrit la pénétration progressive sur le marché de tout nouveau produit innovant au cours de son cycle de vie.

Cette courbe en cloche se compose de 5 groupes de consommateurs au profil psychographique (mélange de psychologie et de démographie) unique :
Les innovateurs (ou Tech enthusiasts)

- Les premières personnes à adopter une nouvelle technologie car ce qu’ils aiment avant tout, c’est… la technologie (indépendamment de la fonction qu'elle remplit)
- C’est le groupe qui a le moins d’exigences : il pardonnera une documentation effroyable, des performances moyennes ou des fonctionnalités manquantes
- Mais pour se les mettre dans la poche, il faut leur dire la vérité, leur donner accès à la personne techniquement la plus compétente et leur partager en exclu des nouveautés, surtout si c’est pour prendre en compte leurs feedback ensuite
💡En un mot, c’est comme le petit bois : ils aident à allumer le feu (et faire grandir la flamme dans nos yeux). |
Les visionnaires (ou early adopters)

- Comme les innovateurs, ils adhèrent à des innovations très tôt dans leur cycle de vie. Toutefois, pas pour la technologie en soi mais pour la promesse de sa valeur. Pour le potentiel de retour sur investissement en réponse à leurs enjeux.
- Ils ne cherchent pas une amélioration mais une percée fondamentale. Ils sont animés par un “rêve” dont l’objectif n’est pas technologique mais business. “Comprenez leur rêve, et vous comprendrez comment leur parler”. Ils veulent transformer ce qu’ils voient en premier en avantage concurrentiel.
- C’est le groupe le moins sensible au prix et le plus disposé à servir de références hautement visibles dans une industrie (ils attirent l’attention). Mais il est très difficile (voire impossible) de les satisfaire… parce qu’ils achètent un rêve (qui le restera toujours d’une certaine façon).
- Ils sont prêts à prendre des risques (techno non éprouvée, entreprise inconnue) et à s’appuyer sur leur intuition et non des références bien établies pour prendre leurs décisions d’achat. Quitte à rebondir dans une autre entreprise en cas d’échec… en laissant les pragmatiques (le groupe d'après) ranger le bordel provoqué 😅. Mais ils sont pressés : ils voient l'avenir en termes de fenêtres d'opportunité et vont avoir tendance à mettre la pression sur les échéances.
- Généralement, ce n’est pas vous qui allez les trouver mais eux, grâce à leurs relations avec les innovateurs. Ils assistent à beaucoup d’événements et de conférences et adorent parler techno (plutôt que les sujets de leur industrie).
💡En un mot, c’est le coup de boost indispensable pour de nombreux produits afin d’arriver sur le marché. |
Les pragmatiques (ou early majority)

- Ce groupe croit en la technologie mais est plus guidé par un sens pratique. Il ne cherche pas la révolution mais une évolution incrémentale, mesurable et prévisible.
- De par sa taille (environ ⅓ de la clientèle), c’est le groupe qui déterminera si votre boîte est un grand succès ou non, financièrement parlant.
- Les pragmatiques se méfient des modes passagères et se contentent d’attendre de voir comment d’autres avant eux s’en sortent avant d’acheter. Ce n’est pas eux qui débuggeront un produit. La notion de risque est négative. D’où une forme de cercle vicieux : ils veulent des références bien établies avant d’acheter… mais il est difficile de s’établir sans leurs commandes.
- Ils sont plutôt orientés "verticalement", c’est-à-dire qu'ils communiquent plutôt avec des personnes de leur industrie, à l’inverse des visionnaires et des innovateurs qui échangent plus “horizontalement”. D’où la difficulté à percer sur ce segment.
- Ils se soucient d’un ensemble de facteurs dans leur décision d’achat (entreprise, qualité du produit, fiabilité, support…). Parce qu’ils se projettent sur du long terme avec cette solution et savent qu’ils devront vivre avec les résultats.
- Autre caractéristique : ils aiment voir de la concurrence, notamment pour avoir une alternative si les choses se passent mal. Mais aussi pour s’assurer qu’ils font confiance à un leader de marché.
💡En un mot, les pragmatiques sont prudents mais, comme ils s’inscrivent dans la durée dans leur entreprise et qu’ils contrôlent la majeure partie de la manne financière du marché, le jeu en vaut la chandelle. |
Les conservateurs (ou late majority)

- Constitué également d’un tiers des clients disponibles, ce groupe partage beaucoup des préoccupations des pragmatiques. À une (grande) différence près : les conservateurs sont nettement moins à l’aise avec la technologie.
- Conséquence : ils investissent à la fin du cycle, quand les produits sont extrêmement matures (voire sont devenus un standard), les fournisseurs sont devenus de grandes entreprises et la concurrence a poussé les prix vers le bas.
- Quand quelque chose fonctionne, ils aiment bien s’y tenir. D’où leur préférence pour des packages tout inclus. Ils veulent un produit tech qui soit comme un frigo : une fonction unique qui marche simplement sans avoir à y penser.
- La clé est de se concentrer sur la commodité plutôt que la performance, l'expérience utilisateur plutôt que les ensembles de fonctionnalités.
💡En un mot, ce groupe est souvent sous-exploité par les entreprises tech, dont les vendeurs y trouvent peu de motivation. “Souvent, leur vrai objectif est simplement de ne pas se faire avoir… ce qui n’arrive pas très souvent !”. La clé pour l’adresser efficacement ? Avoir un canal de distribution scalable avec une offre complète (produit + service) sur étagère. |
Les sceptiques (ou retardataires)

- Ce groupe ne veut tout simplement pas entendre parler de technologie, pour des raisons variées (personnelle, économique…).
- Un de leurs arguments principaux ? Les innovations ne remplissent jamais leurs promesses et viennent toujours avec leur lot d’externalités négatives.
💡En un mot : généralement, il convient de neutraliser leur influence. Même si c’est réducteur : les sceptiques peuvent permettre de déceler des problèmes ou des axes d’amélioration. |
L’enseignement majeur à retenir : pour réussir, une entreprise innovante doit se concentrer sur le "type d'adoption" dominant dans sa phase actuelle du marché, c’est-à-dire adapter sa stratégie et ses actions marketing à la psychographie de chaque segment.
2. L’illusion de la courbe d’adoption des innovations : des fossés et un abîme entre chaque groupe
Le problème de ce modèle ? Il donne une impression de linéarité. Les startups commencent par la gauche, en se concentrant sur les innovateurs, puis se développent segment par segment vers la droite. Une gageure.
Geoffrey A. Moore introduit une nuance qui explique tant de désillusions dans la vie réelle : les fossés entre chaque groupe psychographique.
“Ce sont les symboles de la difficulté qu'aura tout groupe à accepter un nouveau produit s'il est présenté de la même manière qu’au groupe précédent”, explique-t-il.

Deux fossés sont relativement mineurs :
- Le fossé entre les innovateurs et les visionnaires (le 1er) : quand une innovation prometteuse ne se traduit pas par un bénéfice nouveau majeur (ex: l’espéranto ou la réalité virtuelle)
Les causes des échecs à ce stade ? Le manque d’expertise de l’entreprise pour amener son produit sur le marché, la difficulté à aller au-delà d’un simple projet pilote dans l’échéance impartie ou encore l’incapacité à prouver des bénéfices suffisants.
- Le fossé entre les pragmatiques et les conservateurs (le 3e) : quand une innovation n’est pas assez facile à adopter pour continuer à se développer (ex : la domotique, appareils programmables, appareils photo haut de gamme).
Le troisième est bien plus profond et redoutable : il s’agit de l’abîme (“chasm”) entre les visionnaires et les pragmatiques. LE sujet du livre. Car sa traversée est cruciale : gagner le soutien des pragmatiques n'est pas seulement le point d'entrée du marché de masse. C’est la clé de la domination à long terme.
Pourquoi un tel gouffre ?
Ces deux groupes (visionnaires et pragmatiques) rassemblent en effet des clients qui semblent relativement similaires. Mais leurs dynamiques respectives sont profondément différentes, comme on a pu le percevoir dans la caractérisation de ces deux profils précédemment :
- Les visionnaires achètent une révolution, les pragmatiques veulent plutôt une évolution
- Les visionnaires sont prêts à accepter les bugs et dysfonctionnements, les pragmatiques ne veulent pas prendre ce risque et achètent des standards
- Les visionnaires veulent être des précurseurs, les pragmatiques veulent un marché déjà concurrentiel avec des alternatives
- Les visionnaires ne constituent pas de bonnes références pour les pragmatiques, qui préfèrent se fier à leurs semblables
Ce dernier point, peut-être le plus important, reste sous-estimé. Pour Geoffrey A. Moore, c’est la raison pour laquelle il s’agit ici de deux marchés différents (d’où cet abîme).
“Si deux personnes achètent le même produit pour la même raison mais n'ont aucun moyen d’être une référence mutuelle, elles ne font pas partie du même marché. C’est la différence entre un marché et une catégorie”, écrit-il.
La grande illusion (et désillusion) des startups
Beaucoup d’entreprises font ainsi fausse route en interprétant un pic initial de leurs ventes comme leur entrée sur le marché de masse… alors qu’il ne s’agit juste que du marché des visionnaires !
Elles se mettent à faire des plans sur la comète sans se douter qu’elles doivent changer leur stratégie de vente au préalable. Autrement dit, alors qu’elles entrent dans l’abîme, elles foncent au lieu de prendre le temps de mettre en place les éléments de leur nouvelle phase de développement.
Quelques exemples d’innovations qui languissent encore dans cet abîme, incapables de décoller ? Les hologrammes, les piles à combustible, les QR codes, les MOOCS (cours en ligne), les… Segways !
3. Comment franchir cet abîme ?
Une fois ce phénomène décrit, Geoffrey A. Moore passe à l’action et livre sa méthode en 4 étapes pour franchir l’abîme.
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