Quel est le lien entre produit et pricing ? On a retranscrit la séquence sur le sujet de notre podcast sur le virage Product-led Growth de Yousign, avec Dorinda Huybrechts et Spyridon Aspreas, respectivement Senior Product Marketer et Senior Product Manager. Et on a approfondi la discussion ensuite avec leur Chief Product Officer, Christopher Parola. Interview.

8 minutes de lecture (priceless)

 ✉️ Article issu du Ticket n°073

En octobre 2022, en parallèle de votre virage vers la Product-led Growth, vous avez voulu revoir la stratégie de prix de Yousign. Quel était l’objectif derrière ?

Dorinda Huybrechts : L’idée était de challenger le pricing actuel, ce qui n’avait pas été fait depuis de nombreuses années, en revoyant la distribution des fonctionnalités ainsi que le prix de nos différentes offres payantes, afin d’identifier de potentielles pistes d’amélioration. 

Ce projet, qui s’est étiré sur 6 mois, a été découpé en plusieurs phases : 

1) La phase de recherche, avec une discovery menée en interne et en externe pour comprendre les pratiques du marché, les attentes de nos clients et notre modèle de coût

2) La formulation d’hypothèses et de recommandations basées sur nos apprentissages

3) La phase de test en interne et en externe de ces recommandations, afin notamment d’en évaluer la faisabilité technique

4) Puis la mise en place dans notre produit, ce qui comprend la formation des équipes à ce nouveau pricing.

Qu’avez-vous fait concrètement dans la première phase ?

Dorinda : Avec Spyros (NDLR : le surnom de Spyridon), nous avons commencé par organiser des workshops avec un panel de clients mais aussi, en interne, les équipes support (CS), les Ops et, évidemment, les commerciaux. Je le précise car ce n’est pas parce que l’on bascule en PLG qu’on n’a plus besoin des Sales ! C’est une vraie mine d’or à notre disposition pour nous aider à comprendre le comportement des utilisateurs.

Nous avons également réalisé des benchmarks de nos principaux concurrents et mené une analyse d’usage, afin de voir comment nos fonctionnalités étaient véritablement utilisées d’un plan à un autre, à travers une étude de préférence relative (Preference relative survey en anglais).

De quoi s’agit-il ?

Dorinda : C’est une méthode qui permet de mesurer l’attractivité des fonctionnalités et de les catégoriser en 4 catégories : 

– Les Leaders, qui génèrent le plus d’adhésion chez les utilisateurs

– Les Fillers, qui sont appréciées mais sans plus

– Les Killer, qui ne génèrent pas d’intérêt

– Les Add-on, qui génèrent de l’intérêt seulement pour un type d’utilisateurs

Un bon investissement si tu veux approfondir le sujet de la PLG (très objectivement bien sûr)

Comment est-ce que l’on construit ce type d’étude ?

Dorinda : On a envoyé une enquête à nos clients répartis selon l’offre à laquelle ils ont souscrit chez Yousign, en leur demandant de sélectionner leurs 3 fonctionnalités préférées et les 3 qu’ils aimaient le moins parmi une sélection restreinte (une dizaine). 

Puis, on leur a présenté les fonctionnalités présentes dans le plan supérieur et on leur a demandé de choisir celles qui auraient le plus d’intérêt pour eux et combien ils seraient prêts à payer pour y accéder.

Résultat : on obtient une cartographie de préférence d’une fonctionnalité à une autre.

Spyridon Aspreas : Ce qui est hyper intéressant dans cette méthode, c’est que, contrairement aux études classiques qui demandent de classer les fonctionnalités par ordre de préférence ou de les noter de 1 à 5, on force l’utilisateur à faire un choix. Ce qui nous permet de calculer un score de préférence relatif et donc de créer de la différenciation.

Par ailleurs, cet exercice illustre bien la collaboration fructueuse entre Product Manager et Product Marketer. On peut en effet comparer les résultats des enquêtes avec les données d’usage du produit. Par exemple, quand on voit une fonctionnalité qui est beaucoup utilisée par une toute petite proportion d’utilisateurs, on peut se dire qu’il s’agit d’un potentiel add-on.

Que deviennent les fonctionnalités “Killer” ? Comme leur nom semble l’indiquer, vous vous en débarrassez ?

Dorinda : Cette notion est à prendre avec des pincettes. Afin de vérifier nos hypothèses, on a appelé des utilisateurs qui nous ont dit qu’ils ont mis certaines fonctionnalités parmi les “killer” tout simplement parce que c’était un basique pour eux.

Autrement dit, ce n’est pas avec elles qu’on va se démarquer mais cela peut devenir un manque si elles disparaissent. Il faut toujours bien vérifier la bonne compréhension derrière un chiffre.

Et ensuite, comment se passe la phase de formulation des hypothèses et des recommandations ?

Dorinda : À ce stade, nous avons voulu mesurer la capacité à payer des utilisateurs (willingness to pay en anglais). Ici, deux méthodologies sont possibles : 

– La méthode Gabor-Granger, qui consiste à itérer progressivement sur le prix

– ou le Price Sensitivity Meter de Van Westendorp, qui consiste à poser des questions aux utilisateurs à propos du niveau de prix où ils trouvent que le produit serait trop cher, pas assez cher, d’un bon rapport qualité prix etc.

Nous sommes partis sur cette deuxième option, plus appropriée pour notre recherche, ce qui nous a permis de vérifier le positionnement de nos offres actuelles.

Et alors, quels résultats ?

Dorinda : On s’attendait à constater des prix très bas. Certes, des personnes ont mis des 0 partout. Mais, globalement, on a été un peu déçu mais rassuré à la fois : les zones de prix indiqués (là où se croisent les courbes “trop cher” et “pas assez cher”)  correspondaient assez bien à nos tarifs existants. 

Spyridon : C’était rassurant car on n’avait pas testé nos prix depuis pas mal de temps. Mais cela nous a aussi permis de nous rendre compte que si on veut augmenter nos prix, il va falloir augmenter la valeur car, en l’état, les utilisateurs ne sont pas prêts à payer plus aujourd’hui.

“Tu ne peux évidemment pas envoyer une personne seule dans les tranchées pour changer tout le business model d’une boîte et repackager toutes les fonctionnalités”

Finalement, qu’avez-vous modifié dans votre pricing à la suite de toutes ces études ?

Dorinda : Pas mal de choses. Et encore, on n’a mis en place aujourd’hui que la moitié de ce que l’on envisage à terme, car nous voulons suivre et itérer ce que nous modifions.

D’une part, par souci de visibilité, nous sommes passés de 4 à 3 plans : le plan One (10 signatures par mois), le plan Plus (signatures illimités et des fonctionnalités supplémentaires) et le plan Pro (avec notamment des fonctionnalités d’automatisation). Notre ancien plan “Scale”, pour les demandes personnalisées, a été transformé en un bouton d’appel à l’action. 

Autre grand changement : la redistribution de certaines fonctionnalités afin d’apporter plus de différenciation et en clarifiant la proposition de valeur d’un plan à un autre. Par exemple, l’ajout d’approbateurs directement dans l’application ou la double authentification par SMS des signataires ont été déplacés dans le plan supérieur, le Plus. Ceci afin d’accroître sa conversion et son taux d’up-sell (montée en gamme).

Enfin, nous avons ajouté des modules complémentaires (les fameux add-on) pour éviter que la marche ne soit trop grande entre deux plans et satisfaire des utilisateurs qui veulent juste accéder à une fonctionnalité supplémentaire.

Le nouveau pricing de Yousign

Comment avez-vous trouvé et choisi ces différents framework de pricing ?

Christopher Parola : Dans mon ancienne entreprise, Meilleurs Agents, on avait mené un gros travail de modification du pricing, en faisant appel au cabinet Simon-Kucher & Partners, spécialisé en la matière. Cela nous avait coûté plus d’un demi million d’euros pour près d’un an de boulot mais on avait gagné 25 % de revenus mensuels récurrents au bout du compte.

Je me rappelle qu’ils m’avaient conseillé leur bouquin, Monetizing Innovation (de Georg Tacke & Madhavan Ramanujam) qui est un peu l’équivalent de Lean Startup pour le pricing. Et j’y avais trouvé des bouts de méthodes qu’on pouvait lancer nous même.

Après, chez Yousign, on n’avait pas ce budget. J’ai donc été transparent avec Dorinda : je ne m’attends pas à ce que tu remplaces le travail de 8 consultants experts pendant 6 mois. Il faut vraiment dédramatiser la question du pricing. 

C’est-à-dire ?

Christopher : Tu ne peux évidemment pas envoyer une personne seule dans les tranchées pour changer tout le business model d’une boîte et repackager toutes les fonctionnalités. Mais il est malgré tout possible de faire plein de choses de manière progressive, comme l’ont fait Dorinda et Spyros.

Dorinda : J’ai en effet découvert beaucoup de méthodes dans ce cadre. Et c’est aussi pour cela qu’on a préféré le faire en plusieurs itérations pour mesurer les impacts au fur et à mesure. D’autant qu’on parle d’identifier des pistes d’amélioration du pricing existant et non de définir un nouveau pricing.

Christopher, justement, quel était le rôle du leadership pour ce sujet éminemment stratégique pour une entreprise ?

Christopher : Pour moi, le produit doit pouvoir toucher au pricing et c’est le Product Marketing qui doit en avoir la responsabilité. Cela faisait déjà partie de notre scope au produit chez Meilleurs Agents.

Après, je reconnais que c’est en effet un sujet critique et qu’il faut évidemment l’aval du leadership. Dans ce cas précis, nous avons donné l’objectif à l’équipe de créer un canal “self-serve” (NDLR : la possibilité pour les utilisateurs d’acheter le produit en autonomie, sans l’intervention de commerciaux). Elle est revenue plus tard en nous apportant des insights comme quoi il y avait un sujet au niveau du pricing. Et on leur a donné le go pour le traiter.

    Parler pricing, cela veut évidemment dire partager le modèle de coût de l’entreprise, des données souvent confidentielles. Comment avez-vous géré cet enjeu ?

    Christopher : Pour nous, on ne les considère pas comme confidentielles, si ce n’est pour l’externe. On est assez transparents sur les budgets. 

    La vraie complexité, c’est la mesure du coût d’opération de ton service, qui se neutralise avec l’effet d’échelle. C’est vraiment hardcore à définir.

    “Avant même de parler de conception d’une fonctionnalité, on doit déjà sonder le marché pour savoir si des gens seraient prêts à payer pour”

    N’avez-vous pas envisagé de passer à un modèle à l’usage, en l’occurrence au paiement à la signature électronique, comme cela se fait beaucoup pour les produits en PLG ?

    Spyridon : Cela fait en effet partie des marottes de la littérature PLG. Sauf que ce changement est énorme en termes de prédictibilité des revenus. Ce qui influence directement la valorisation de l’entreprise. On en a discuté mais on s’est dit qu’il valait mieux y aller progressivement. Le passage en PLG amène déjà suffisamment de changements !

    Constatez-vous un changement notable depuis ces changements de pricing ?

    Dorinda : Oui, on commence à voir une conversion supérieure pour notre plan Plus et nous n’avons pas eu de plaintes d’utilisateurs depuis la nouvelle répartition des fonctionnalités. 

    Toutefois, il est difficile d’isoler les aspects contextuels. Par exemple, une nouvelle réglementation impose aux entreprises de signer certains documents avec un certain niveau de signature qui n’est accessible qu’à partir de notre plan Plus. 

    Par ailleurs, il faut aussi voir que, en PLG, le design de la page pricing est super important car c’est celle qui permet de convertir, en remplacement du commercial. Comme nous avons identifié nos fonctionnalités clés, nous avons pu mieux les mettre en valeur et, en quelques semaines, le taux de rebond de la page a baissé de près d’un tiers. Un signe qu’elle permet de mieux accompagner un prospect dans sa prise de décision.

    Quels apprentissages tirez-vous de cette expérience ?

    Dorinda : Personnellement, je dirais qu’il n’y a pas besoin de tout savoir pour se lancer dans un changement de pricing. Avec des méthodos bien cadrantes et beaucoup de Test & Learn, on peut arriver à avoir des résultats. Aussi, je dirais que le pricing est un sujet qui n’est pas figé dans le temps. Il faut constamment le challenger pour vérifier que l’on reste compétitif sur son marché.

    Christopher : Pour ma part, j’ai encore plus réalisé à quel point le pricing est directement imbriqué dans le produit. Ce sujet touche aux fonctionnalités, à l’usage des clients voire à l’UX Writing… Ce sur quoi tu travailles au quotidien au produit en fait ! C’est la raison pour laquelle, selon moi, il faut a minima que le produit ait accès aux résultats des travaux sur le pricing. Cela peut changer beaucoup de choses pour les équipes !

    Spyridon : C’est vrai qu’on s’est parfois un peu isolé de plein de choses au produit, notamment de la partie business. Sauf qu’il n’y a pas de produit s’il n’y a pas de business derrière. Il devient de plus en plus important aujourd’hui de savoir comment on monétise une fonctionnalité.

    D’ailleurs, avant même de parler de conception d’une fonctionnalité, on doit déjà sonder le marché pour savoir si des gens seraient prêts à payer pour. Il est très sain qu’on se pose ce type de question au produit.


    Quelques ressources supplémentaires :