À l’occasion de La Product Conf 2025, nous avons animé une table ronde intitulée “Le produit ne suffit plus ! Comment avoir (vraiment) de l’impact aujourd’hui”. Un éloge de l’humilité dans le produit autant qu’une démonstration de son potentiel impact business. Le résumé en 10 punchlines.
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TL;DR – Ce que tu vas apprendre dans cette synthèse :
1- Mieux vaut parler de “500 000 € d’investissement” plutôt que “d’une roadmap à 6 mois”
3- Le calcul du ROI d’un projet ? Un critère de succès + une durée d’effort estimé
5- Parler le langage du métier et non du produit
6- Intégrer une expertise métier dans le trio produit / design / tech
7- Les Product Managers doivent prendre leur place dans les appels commerciaux
9- Les Product Managers doivent être l’avocat de l’expertise qui n’est pas dans la pièce
10- Commissionner les équipes produit en fonction du revenu généré
Les 3 participant·es de la table-ronde :
- Sophie Muto, ex Mano Mano, Criteo ou le cabinet Octo, elle est Head of experience design chez Leroy Merlin. En 3 ans, son équipe est passée de 3 designers à une trentaine aujourd’hui
- Christopher Parola, ex Chief Product Officer de MeilleursAgents, il est depuis 4 ans CPO de Yousign, la solution de signature électronique qui revendique plus de 20 000 clients en France, en Allemagne et en Italie et compte plus de 200 salariés.
- Rémi Guyot, ex responsable design chez Paypal et CPO de BlaBlaCar, il est le co-auteur du livre Discovery Discipline, une méthode qu’il promeut en entreprise aujourd’hui à travers l’Europe.

1- Mieux vaut parler de “500 000 € d’investissement” plutôt que “d’une roadmap à 6 mois”
C’est en tout cas la distinction sémantique appliquée chez Yousign afin d’inciter les équipes produit à penser au retour sur investissement (ROI) de leurs initiatives. Son CPO, Christopher Parola s’explique :
“L’objectif, c’est d’essayer de ramener le type de données que l’on regarde quand on pilote une entreprise, à savoir des valeurs financières, même quand on construit sa roadmap. On est en effet un des rares métiers où l’on ne regarde que très peu le coût de ce que l’on va produire, parce que ce sont essentiellement des salaires”.
Avant d’ajouter :
“L’idée, c’est donc de se dire : si je vais investir 6 mois sur un projet, ce qui représente environ 500 000 € pour une équipe produit, sans compter les potentiels frais de mise sur le marché, comment est-ce que je peux très tôt pouvoir justifier ce ROI ? Autrement dit, est-ce que je serais capable de récupérer cet argent ? Ça aide à comparer les projets et à introduire la notion de modèle économique du produit que l’on va lancer”.
2- “Design is business”
Il s’agit d’une conviction profonde et ancienne de Sophie Muto :
“Pour moi, l’objectif de notre métier, c’est de faire converger les objectifs business avec les attentes utilisateurs. Pour un grand groupe comme Leroy Merlin, cela veut dire concrètement avoir cette conversation avec la fonction business en utilisant un langage commun et être en capacité de bien comprendre leurs enjeux.”
Illustration chez Leroy Merlin, qui dispose d’un portefeuille de près de 600 produits… dont la majorité concerne des solutions internes. L’enjeu de Sophie et de son équipe ? L’adoption interne.
“Le gros de l’effort des équipes produit concerne les outils des collaborateurs. In fine, ce sont les salariés des 150 magasins qui, au quotidien, opèrent la stratégie. Les sujets d’adoption et d’opérabilité du produit sont donc au centre pour qu’ils puissent faire leurs gestes métier de manière efficace et sans charge cognitive”, explique celle qui est en train de mettre en place le Customer Effort Score comme KPI stratégique de l’entreprise.
3- Le calcul du ROI d’un projet ? Un critère de succès + une durée d’effort estimé
Pour Rémi Guyot, ce calcul très basique manque souvent lorsque l’on commence une nouvelle initiative.
“Dire “Je cherche à faire bouger tel indicateur” ne suffit pas et n’est pas un passe droit pour se lancer dans n’importe quelle initiative. L’erreur, c’est de penser qu’on ne connaît pas l’impact que l’on aura à l’avance. Sauf que c’est prendre le problème à l’envers : si, dans ton ambition initiale, tu es incapable de mesurer ton niveau d’impact potentiel, tu seras donc incapable de justifier ton investissement”
Il précise :
“Définir un indicateur, c’est bien. Mais l’étape d’après, c’est identifier son niveau actuel et espéré. Juste avec cette conversation, tu viens potentiellement de changer la nature des initiatives que tu vas mener et le temps que tu vas y consacrer. Faire varier un indicateur de 30 % à 31 % ou de 30 % à 60 % n’implique pas du tout les mêmes types d’action.”

4- “Mieux vaut vendre une fonctionnalité qui n’est pas encore construite que construire une fonctionnalité que l’on ne vendra pas”
Cette punchline, qui peut paraître contre-intuitive, est née d’une réalisation récente de Rémi Guyot :
“Au produit, on a tendance à cracher sur ces foutus commerciaux qui passent leur temps à vendre des choses qu’on n’a pas encore sur notre roadmap. Sauf que j’ai fait évoluer mon point de vue en discutant avec le CEO d’une boîte qui envoyait un message très clair à son équipe commerciale : votre job, c’est de vendre des choses qui plaisent aux clients ; le fait qu’on les ait en stock ou pas, c’est un problème facile à résoudre. Par contre, savoir ce qui va vraiment résonner en termes de proposition de valeur, de prix ou de distribution, ça c’est difficile !”
Il poursuit :
“Une perspective loin d’être absurde : on a souvent plus de fonctionnalités en prod’ qui ne rencontrent pas d’adoption que de problème parfaitement identifié qu’on n’arrive pas à résoudre techniquement. Peut-être que notre roadmap devrait être plus influencé par ce qu’on est capable de vendre que par ce qu’on est capable de construire.”
Illustration concrète avec une des nouvelles fonctionnalités de Yousign… vendue déjà depuis 6 mois !
“On s’est rendu compte que des commerciaux vendaient aux clients nos produits de signature électronique juste pour que ces derniers puissent faire de la vérification d’identité, en signant un faux document vide. On entend souvent que les commerciaux ne vendent pas tout à fait le produit que l’on a construit. Sauf que si on retourne la perspective, on peut aussi dire qu’en vendant, ils démontrent ce qui est le plus dur à prouver : le Product Market Fit. D’un coup, ils valident le prix, l’appétence… et on peut envisager sereinement le développement”, indique Christopher Parola.

Un participant vient toutefois apporter une contradiction : il n’est pas possible de développer autant de fonctionnalités que de demandes clients.
Réponse de Rémi Guyot :
“Malheureusement, on n’a pas besoin d’équipes commerciales pour créer des produits trop complexes, on y arrive très bien tout seul ! Notamment à cause de notre obsession pour l’itération. Chemin faisant, on ne mesure pas la complexité croissante qu’on ajoute dans notre produit et dont on se moque quand il s’agit du produit des autres.”
Avant d’apporter de la nuance :
“Mon point n’est pas de dire que n’importe quelle fonctionnalité vendue par n’importe quel commercial est mieux que ce qu’on aurait mis dans la roadmap. Je dis juste qu’on devrait au minimum regarder avec la même bienveillance les idées de plus long terme d’une équipe produit et celles qui apportent du business immédiat d’une équipe commerciale. L’arrogance serait de croire que l’équipe produit est la source de toute vérité.”
Ce à quoi Sophie ajoute :
“Mieux vaut des bons retours du terrain par les commerciaux qu’une discovery mal faite !”
5- Parler le langage du métier et non du produit
Sophie Muto a développé une expertise dans le bricolage en travaillant successivement pour Mano Mano puis Leroy Merlin. Au sein de ce grand groupe, le produit n’est pas le cœur du business mais un levier. Ce qui oblige à revoir sa posture.
“Ça ne sert à rien de parler en interne de product management, de méthodo ou de framework. Pour avoir des conversations business, il faut parler le langage du métier », admet-elle.

“Personnellement, je m’inspire des équipes commerciales dont l’adaptation du vocabulaire fait partie du métier. Si une personne ne comprend pas un mot que tu utilises, c’est qu’il s’agit du mauvais mot, renchérit Rémi Guyot. Nous avons construit une méthode avec mon associé Tristan Charvillat mais, pourtant, le conseil que je donne à des personnes qui sont dans des environnements où le mot framework crispe tout le monde… c’est de ne surtout pas en parler !”
6- Intégrer une expertise métier dans le trio produit / design / tech
Ce concept porte le nom de “Carré Magique” chez Carrefour ou de “4-in-a-box” chez Walmart, son équivalent américain. Il consiste à intégrer une expertise métier au cœur de toutes les innovations, en plus du trio “traditionnel” produit, design et tech.
Rémi Guyot l’a découvert quand il a commencé à travailler avec des grands groupes… et à se rendre compte d’une forme d’arrogance des fonctions produit en startup.
“On avait l’occasion d’intervenir devant le comité exécutif de Schneider Electric pour partager des bonnes pratiques. Et on s’est rendu compte très vite d’un malentendu majeur : on parlait de “produit” à une équipe qui savait exactement ce que c’était, sauf qu’ils n’avaient pas la même définition (physique vs numérique). On avait l’arrogance de leur dire qu’ils utilisaient mal le mot qu’ils utilisaient depuis une centaine d’années !’

7- Les Product Managers doivent prendre leur place dans les appels commerciaux
Chez Yousign, Christopher Parola assiste à plusieurs RDV commerciaux par semaine. Pour montrer l’exemple… tellement cette pratique est bénéfique selon lui.
“D’une part, cela permet de prendre les retours terrain très vite et d’aller plus vite dans la compréhension du besoin du client. Et donc de mieux maîtriser la timeline de production jusqu’au lancement. D’autre part, il leur arrive de pitcher des fonctionnalités qui ne sont encore qu’à l’état d’idée ou d’initiative dans la roadmap. Ce qu’un commercial n’aurait pas pu faire étant donné qu’il n’est, par définition, pas encore “enablé” sur le sujet. Le produit peut amener cette valeur ajoutée”.
8- Pourquoi demande-t-on toujours “est-ce que je dois savoir coder ?” mais jamais “est-ce que je dois savoir vendre ?”
“Je pense qu’il est, a minima, intéressant d’envisager de s’intéresser à la littérature commerciale quand on travaille dans le produit. D’autant qu’on y découvre des ponts énormes, comme le fait que les commerciaux par exemple commencent par une phase de… discovery ! Après, tu peux te dire que ce n’est pas le champ de compétence sur lequel tu veux évoluer. Mais j’ai l’impression que ce n’est même pas un sujet pour beaucoup”, remarque Rémi Guyot qui recommande ainsi de lire Secrets of Closing the Sale, de Zig Ziglar.
9- Les Product Managers doivent être l’avocat de l’expertise qui n’est pas dans la pièce
Rémi Guyot cite une phrase de son prédécesseur chez BlaBlaCar, Frédéric Dermer :
“Par définition, le rôle de Product Manager, c’est de travailler avec plein d’experts autour de la table et l’obsession doit toujours être de défendre la personne qui n’est pas dans la pièce, d’incarner l’angle mort. Pas forcément la voix de l’utilisateur comme on l’entend souvent. Parfois, c’est le cas, mais parfois, c’est la voix du légal, parfois, c’est celle de la technique etc.”
Avant d’ajouter :
“Un ancien PM d’Amazon disait : mon rôle n’est pas de prendre la meilleure décision, mais de m’assurer que la meilleure décision est prise. Autrement dit, de bien s’assurer qu’on est en train de regarder les bonnes infos pour prendre les bonnes décisions.”
10- Commissioner les équipes produit en fonction du revenu généré
Chez Yousign, Christopher Parola a mis en place une pratique qui peut sembler être un gros mot dans l’univers produit : objectiver les fonctions produit (product Marketing, Product design et Product management) sur le revenu mensuel récurrent.
“Clairement, cela a fait peur aux équipes au début. On venait de lâcher un mot tabou, sourit-il. On veut avoir du ROI au produit sans avoir d’impact sur le MRR direct. On a voulu renverser ce constat”.
Précisions : cela ne concerne que les équipes qui lancent de nouvelles fonctionnalités ou celles qui sont chargées du canal Self-Served (cf notre article sur la Product-led Growth chez Yousign qui, un an après ce virage, générait déjà 50 % du nouveau MRR de manière autonome). Aussi, cela ne représente qu’environ 300 euros par trimestre, bien loin des modèles de rémunération des équipes commerciales.
“Ce n’est pas une carotte mais plutôt un outil d’alignement. Tout le monde regarde le même objectif. Et le message est clair : votre rôle au produit est bien d’amener ce retour sur investissement !”
Je regarde la vidéo intégrale de la table-ronde :
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