5 questions à Fabrice des Mazery, Chief Product Officer du cabinet de conseil en produit Thiga et auteur de “Responsables”, le livre sur le produit responsable qui paraît le 15 décembre en ligne et en version papier.

Salut Fabrice. Peux-tu déjà nous raconter le contexte dans lequel a germé l’idée de ce livre ?

Fabrice des Mazery : Cela ne remonte pas à si longtemps. Comme je l’explique dans cette conférence, j’ai créé une startup que j’ai revendue pour des raisons éthiques. C’est-à-dire que le produit qu’on avait bâti, utilisé avec de mauvaises intentions par d’autres acteurs, aurait pu avoir des répercussions particulièrement néfastes sur la société.

Clairement, c’était plus une expérience traumatique qu’une victoire pour moi. Et, il y a deux ans, j’ai un ami qui m’a bien secoué en me disant qu’il fallait que j’arrête d’en avoir honte et que je devais en parler, en faire quelque chose. D’où l’idée de ce livre sur le produit responsable, qui traite non pas de ce qui fait peur en tant que consommateur mais de ce que je peux faire en tant que concepteur.

A la lecture de ton livre, on a l’impression que le fond du problème vient de la tension que tu évoques entre les normes sociales (celles qui régissent nos actions en communauté, comme amener des fleurs pour le dej’ chez Tati Monique) et les normes de marché (amener 30 euros plutôt que des fleurs pour le dej’ chez Tati Monique). Tu cites le professeur Dan Ariely, qui l’explique très bien : « Lorsque les normes sociales entrent en conflit avec les normes de marché, les normes sociales disparaissent et les normes de marché restent ».

F.d.M. : Oui, d’autant qu’il y a un double effet Kiss Cool.

1. Malgré les discours autour de l’empathie (qui a des limites évoquées dans le livre), il y a toujours une distance qui existe avec les utilisateurs et nous qui travaillons sur le produit, peu importe notre profession. Cela reste des personnes lointaines, sur qui l’on appose notre propre perception du monde, notre logique, nos biais.

2. Et, à la fin, on demande au produit de faire « de l’impact », qui est presque toujours jaugé à l’aune de métriques d’usage ou de business, plutôt qu’au réel changement perçu par nos utilisateurs. Nous entretenons plus une relation transactionnelle que relationnelle, de moyen pour atteindre nos objectifs plutôt que de fin.

Je pense profondément qu’à long terme, tu gagnes à créer du relationnel. Faire un produit dont les gens se souviennent, qu’ils utilisent parce qu’ils aiment l’utiliser et non parce qu’ils voient une notification ou ressentent une pulsion d’aller checker leur fil d’actu. Personne n’écrira sur ton épitaphe : ce gars avait 158 followers ou cette fille avait Amazon Prime ! 

Qu’est-ce que tu as appris personnellement en réalisant ce livre ?

F.d.M. : Deux choses. La première : j’ai abandonné l’idée que je ne pouvais agir qu’en faisant de la Tech for good. Je pense que beaucoup de PM se sont déjà posé.e.s la question : est-ce que je n’empire pas les choses ? Mais en fait, je n’ai pas besoin de m’appeler Greta Thunberg pour agir.

La deuxième, qui est liée : je peux commencer par plein de petites choses à mon échelle. Je n’ai pas besoin de demander d’autorisation et cela peut facilement s’intégrer dans mon quotidien en gérant ma dette de responsabilité comme je gère une dette technique. Ça fait du bien et ça rassure ! 

Justement, qu’est-ce qui est applicable rapidement pour des PM ?

F.d.M. : Le plus rapide, ce n’est pas une action à faire mais une question à (se) poser : qu’est-ce qui pourrait mal se passer ? Je cite par exemple le fondateur et CEO de Slack qui demande à ses designers de fermer les yeux et d’imaginer ce qu’une personne peut avoir vécu avant de s’asseoir à son bureau. Cela peut-être un retard dû à un embouteillage, une dispute avec leur conjoint.e, du stress etc. On ne peut pas faire comme si les gens arrivaient dans notre produit neutres émotionnellement ! 

Quand tu commences à avoir ce réflexe, même si tu n’y connais rien à l’éco-conception ou à l’accessibilité, cela va forcément impliquer une conception différente et limiter de potentiels dommages. A l’inverse de certains modèles, comme le story mapping, où on enchaîne les étapes logiques comme si les utilisateurs étaient des robots.

Après, cela va évidemment dépendre des traits de responsabilité sur lesquels tu vas vouloir travailler parmi les 8 que je mentionne dans le livre. Sur la dimension de la frugalité par exemple, cela veut dire ne pas mettre une image en 4K si tu n’as besoin que d’un 300X150. 

Et maintenant, c’est quoi la suite ?

F.d.M. : On réfléchit à un playbook qui permettra de rentrer dans le détail concret de ces 8 traits. Pour moi, ce livre est incomplet : il manque des astuces et des exemples si je veux m’investir à fond dans un des domaines évoqués.

Mais j’ai agi comme un PM : j’ai accepté de commencer par une première pierre, même imparfaite. Avant de concevoir un 2e livre à partir de janvier.

Là, on tue l’excuse du “Je ne savais pas” ou “Je ne savais pas ce que cela voulait dire pour moi”. Maintenant, on va s’attaquer à la suivante : “Je ne sais pas comment m’y prendre” !


Pour lire Responsables, c’est ici.