Dans un contexte de réduction des levées de fonds et de plus grande attention à la rentabilité, les Product Managers doivent adopter une posture plus “business”. Chez Datadog, cette culture existe depuis l’origine et a été poussée de manière assez radicale, avec des équipes produit très présentes aux RDV commerciaux et responsables du pricing. Voici le REX de Datadog (tu l’as ?).

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 ✉️ Article issu du Ticket n°074

Une partie de l’équipe de Paris – Source : Datadog

“Le plus radical chez Datadog, c’est à quel point les Product Managers sont responsables du business de leur produit”. Après une dizaine d’années d’expérience en cumulé chez Prestashop, Algolia ou Databricks, Lucas Cerdan a découvert en septembre dernier la culture si particulière de l’entreprise Datadog, dans une fonction de contributeur individuel (Staff PM).  

Avant de plonger dans ses coulisses produit, rappelons déjà ce qu’est Datadog, boîte étonnement méconnue. Étonnement car, à l’instar d’Algolia, Snowflake ou Hugging Face, elle est certes américaine mais a été fondée, en 2010, par deux ingés français, en l’occurrence expatriés à la fin de leurs études. Étonnement aussi car cette société de cloud monitoring, valorisée plus de 44 milliards de dollars au Nasdaq, compte près de 1 000 salariés en France, sur ses 6 500 au total. 

Le 2e produit de Datadog en termes d’envergure, sur les 25 de la boîte, est d’ailleurs entièrement conçu en France. Mais c’est sûr que tu ne trouveras pas beaucoup de publications de leurs Product Managers sur Linkedin… Le fameux “effet frites McCain” : c’est parfois ceux qui en parlent le moins qui en font le plus 😅.

Chez Datadog, une vraie responsabilité business

S’il y a toutefois un endroit où sont présentes en nombre les équipes produit de Datadog, c’est en rendez-vous avec les clients.

“Parmi les choses qui m’ont le plus marqué chez Datadog, il y a évidemment le fait de pouvoir parler aux clients”, confirme Hugo Kaczmarek, depuis 5 ans dans la boîte et aujourd’hui Director of Product Management.

Cet ancien de Criteo précise : “Soit pour aider à faire un deal, soit pour récolter du feedback, soit pour résoudre des problèmes techniques… On a carte blanche pour tout le temps le faire. Les clients se sentent valorisés, les commerciaux adorent et nous aussi”.

Un avis partagé par Lucas Cerdan :

“Je n’ai jamais vu autant de Product Managers discuter concrètement de deals commerciaux.”

Comment ? En y pitchant directement la valeur de leur produit et en expliquant les cas d’usage et les problèmes dont les clients n’ont parfois même pas conscience. Pour les plus seniors, il s’agit même parfois d’une opportunité pour présenter les autres produits de Datadog. “C’est limite du conseil de fonctionnalités”, résume Lucas.

Ce n’est pas juste de la figuration : chez Datadog, les équipes produit ont une vraie responsabilité business. Qui va jusqu’à la définition du prix de vente !

“Dans mes précédentes expériences, j’ai toujours été sensibilisé à la valeur que devait procurer mon produit pour l’utilisateur. Mais jamais, comme c’est le cas ici, à l’influence sur le pricing ou sur des matrices de discount. C’était plutôt une décision prise par des commerciaux, des analystes ou des dirigeants”, souligne Lucas. Chez Datadog, les briefs produit (Product Requirement Documents, PRD) ne peuvent ainsi se faire sans mention du taux de marge. 

Autrement dit, les Product Managers sont les garant·es de la rentabilité de leur produit. “Cela force non seulement à s’intéresser à la valeur que trouve un client dans un produit mais aussi au prix qu’il serait prêt à le payer”, poursuit Lucas.

“Ça évite le fameux clivage entre les Sales qui disent que le produit ne sort rien et le produit qui dit que les Sales n’arrivent rien à vendre”

Cette spécificité va encore plus loin. “Au produit, nous sommes les seuls à avoir le droit d’aller pitcher au président de la boîte une structure de pricing complètement personnalisée pour un client, si le modèle économique actuel ne marche pas pour des cas précis”, ajoute Hugo. 

Les commerciaux, qui représentent pourtant près de la moitié de la boîte face aux 150 membres de l’équipe produit, n’ont ni accès au taux de marge des produits ni à la capacité de faire des deals à la carte… sans en demander l’autorisation au Product Management !

Hugo révèle d’ailleurs une anecdote révélatrice quand il a commencé chez Datadog, en tant que contributeur individuel. “Le président m’avait lancé : Hugo, pour ce nouveau produit, explore des modèles de prix”. Je me suis donc retrouvé à signer une dizaine de clients avec, pour l’un, un pricing à 20 dollars par mois par hébergement et, pour un autre, 5 dollars par mois sur une autre unité de mesure”.

Le conseil principal de son président ? Même si tu n’es pas sûr de ton pricing, pitch le malgré tout avec assurance ! Il s’agissait certes de petits deals. Et c’était avant tout pour apprendre au lancement d’un produit.

Une fois fixé, le modèle de prix est déployé auprès de toute l’équipe commerciale et le produit ne revient pas sans cesse dessus. Mais cela en dit beaucoup de cette culture produit si atypique.

“Ça évite le fameux clivage entre les Sales qui disent que le produit ne sort rien et le produit qui dit que les Sales n’arrivent rien à vendre. En tant que Product Manager, on est pleinement responsabilisé pour que cela marche”, constate Lucas.

“Si le produit que tu as lancé il y a quelques années ne génère pas suffisamment de revenus, ce ne sont pas les Sales qui ont merdé, c’est toi !”, renchérit sans détour Hugo. 

Datadog n’a toutefois pas poussé le bouchon jusqu’à objectiver la rémunération des Product Managers au chiffre d’affaires sur leur produit.

Une pratique qu’avait connu, pour le coup, Lucas chez Algolia : toutes les équipes non Sales touchaient entre 5 et 10 % de variable en fonction du taux de vente des commerciaux. “Cela pouvait être assez bénéfique à la fin d’un trimestre s’il fallait décider entre finir une release ou aider un commercial à finaliser une vente” sourit Lucas. 

“Un grand désordre de personnes intelligentes qui doivent bien s’entendre entre elles”

Ce fonctionnement chez Datadog n’est évidemment pas sans défaut et peut notamment créer des conflits parfois entre équipes produit. Mais, au moins, il a le mérite de rapprocher le produit et les commerciaux. “Tout est fait pour qu’on soit les meilleurs alliés. Ils vont avoir besoin de nous et nous, on doit leur montrer qu’on a aussi un objectif business… même si on ne veut pas faire de l’argent n’importe comment ! C’est un cercle vertueux”, résume Hugo.

La description de Datadog énoncée une fois par son Chief Technical Officer va en effet dans ce sens : “A giant mess of smart people that have to get along well together“ (Un grand désordre de personnes intelligentes qui doivent bien s’entendre entre elles). 

Ce dernier avait d’ailleurs envoyé un jour cette consigne aux équipes : “Quand vous embauchez, vérifiez d’abord si la personne est intelligente puis si elle est gentille (“kind”)”.

Le recrutement, parlons-en justement. Chez Datadog, on s’attend à ce que même les juniors qui créent un produit réfléchissent à son modèle de prix.

Par conséquent, tous les profils produit sont en partie évalués sur leur sens business. “Même si nous n’avons pas les mêmes attentes en la matière entre des juniors et des seniors, c’est quelque chose que l’on teste en entretien”, affirme Hugo. 

Si la personne candidate propose ainsi, lors d’un cas, un modèle économique que le client pourra facilement évaluer, c’est un bon signal. Par exemple, si on te dit demain que tu devras payer ton appartement en fonction du nombre de lattes de parquet qui y figurent, tu vois bien que le pricing est foireux car tu n’en as pas la moindre idée !

“Ce n’est pas un élément bloquant, nuance toutefois Hugo. J’ai 15 personnes dans mon équipe et elles ont des profils divers. Certaines n’ont pas de très bon sens business et c’est OK car elles ont d’autres qualités utiles”.

Chez Datadog, des Product Managers ni PO ni Scrum master

Évidemment, cela complique la donne pour trouver les bons profils. Sachant que chez Datadog – qui continue de recruter pour info, il faut également disposer de bonnes bases techniques. “Notre audience est technique. Si un client nous dit que son VPC log ne marche pas car son private network n’arrive à nous envoyer des données, il faut pouvoir lui répondre”, assure Hugo. 

Un enjeu qui vaut aussi bien pour les clients qu’auprès des dev’ en interne. “Ces derniers peuvent refuser de faire des choses. C’est à toi de les convaincre en tant que PM. Il n’y a aucune relation de management, ce qui rend les discussions de priorisation plus saines”, poursuit-il.

La culture de la responsabilité n’est en effet pas propre au produit chez Datadog. La Tech est ainsi très autonome sur la partie découverte de solution à concevoir. “La delivery n’est pas une compétence cruciale pour nos Product Managers. Chez nous, les PM ne sont ni Product Owners ni Scrum Master. Ils donnent une direction et définissent en équipe avec l’Engineering Manager la solution”, décrit Hugo.

Question : est-ce que ce modèle est réplicable à d’autres organisations ? Dit autrement : est-ce que cela peut fonctionner hors du contexte spécifique de Datadog, une boîte, comme tu l’auras compris, au fonctionnement sans grands process rigides ? 

“Pour moi, tu te dois d’avoir au moins quelques Product Managers qui ont ce sens business dans ton organisation”, répond Hugo.

Lucas se montre plus nuancé. “C’est évidemment une compétence importante… à condition que cela fasse partie de la culture de la boîte. Si, à ton niveau de Product Manager, tu ne peux pas changer le pricing de ton produit car, pour ta direction, cette prérogative revient plutôt aux commerciaux, même avec la meilleure volonté du monde, tu n’y arriveras pas”.