Bienvenue dans l’épisode 3 de notre série sur le produit pré Product Market Fit.

Olivier Courtois a été 3e Product Manager de Mano Mano puis VP Product de Comet. Depuis deux ans, il est l’un des 3 cofondateurs de l’application sociale pour les ados Uku (qui s’appelle maintenant Beep), en plus de sa newsletter Productverse. L’occasion pour lui de se rendre compte des grandes différences entre les pratiques produit pré et post Product Market Fit.

⌛ 5 min de lecture sans se tourner les pouces

Salut Olivier. Toi qui a travaillé en tant que Product Manager avant de monter ta boîte, est-ce que tu t’attendais à une telle différence en termes de pratique produit ?

Olivier Courtois : Je me doutais bien que cela allait être différent. Mais j’ai un point de vue encore plus radical désormais : à un stade pré Product Market Fit, il ne devrait pas y avoir de Product Manager ! 

En tant que fondateur ou fondatrice, ce n’est pas une bonne idée de déléguer cette partie. Tu t’éloignes des utilisateurs et tu ne progresses pas en termes de pensée produit. Mieux vaut se faire accompagner par des acteurs comme Mozza par exemple. Je ne conseillerais d’ailleurs pas à un ou une PM de rejoindre une boîte pré-PMF. 

Pourquoi ?

O.C. : Le problème, c’est que l’essentiel des choses que tu sais faire ne sont pas vraiment nécessaires à ce stade. Et, en parallèle, tu n’es pas tellement capable de faire en totale autonomie ce sur quoi on t’attend. 

Je m’explique. Par définition, il n’y a pas d’utilisateur en pré PMF, donc pas de donnée. Tu ne peux pas être data-driven. Tout est donc une histoire d’intuition et de conviction… et ce sont plutôt les fondateurs qui les ont en tête. Tu te retrouves alors dans un entre-deux désagréable.

À la limite, pour rejoindre une aventure pre PMF, il faut vraiment creuser très profondément pourquoi l’équipe fondatrice a l’impression que c’est le bon moment d’embaucher et quel sera ton niveau de prérogatives.

« À ce stade, la seule bataille qui vaille, c’est la vélocité. Tout ce qui empêche de mettre rapidement des choses dans les mains des utilisateurs doit être enlevé. »

– Olivier Courtois, Uku

As-tu mis en place des pratiques produit au lancement de ta boîte… que tu as regretté par la suite ?

O.C. : Oui, j’ai vraiment fait plein de conneries ! Dans mes expériences précédentes en tant que PM, j’ai souvent eu des problèmes pour trouver la documentation. Donc, au début de Uku, j’avais fait d’emblée un Notion super bien organisé. Mais, très vite, je me suis rendu compte que je perdais du temps à faire des trucs inutiles pour notre stade de maturité.

Autre exemple : la roadmap. Ce n’est pas une bonne idée d’en faire une au début car c’est une façon de figer ta vision et de passer du temps à documenter plutôt qu’à produire. Même le fait d’écrire des tickets est une perte de temps. Nous, on se fixe juste des objectifs à la semaine.

Sachant qu’en early stage, tu as généralement des profils touche à tout capables de développer, designer et avoir une pensée produit. Les spécialistes arrivent plutôt en phase de scale.

Si je devais refaire une boîte, je pense que je ne créerais qu’un seul channel Slack et une seule page Notion. Basta. Histoire de simplifier au maximum nos communications et de pouvoir nous concentrer juste sur ce qui est important.

En fait, à ce stade, la seule bataille qui vaille, c’est la vélocité. Tout ce qui empêche de mettre rapidement des choses dans les mains des utilisateurs doit être enlevé.

Comment expliques-tu cela ?

O.C. : En fait, le point fondamental en pré PMF, c’est que tu as tout à gagner et rien à perdre. Comme tu as des ressources très limitées, ton but, c’est d’aller le plus vite possible et de tester les idées les plus audacieuses que tu peux imaginer, car tu veux obtenir des signaux clairs. Ton job, c’est donc de prendre des risques.

Alors que c’est tout l’inverse en post PMF. Dans cet environnement, tu commences à avoir des choses à perdre. Cette fois, ton job en tant que PM, c’est de dérisquer ce que tu fais. Faire de la recherche, aligner tout le monde sur ce qu’il faut faire, utiliser efficacement les ressources… 

Tu as un exemple ?

O.C. : Je l’ai concrètement vécu chez Mano Mano. Quand j’arrive, je suis le 3e PM, 100e salarié environ et l’équipe ingé compte une vingtaine de personnes. Deux ans plus tard, on est 700, 120 ingés et 25 au produit. Là, tu as plein de ressources donc plein de façons différentes d’investir le temps des gens.

C’est ici qu’il faut dérisquer cet investissement, sinon, tu peux te contenter de multiplier les micro-optimisations sans que cela ne change la trajectoire de l’entreprise. Autrement dit, tu dois éviter de produire des choses qui ne servent à personne et qui font que tu jettes de l’argent par les fenêtres. La difficulté, c’est que tu ne t’en rends pas compte tout de suite si cela arrive : tu as l’impression d’enchaîner les succès alors que tu es juste porté par le premier succès qui perdure.

C’est à ce moment que les mécanismes de roadmap trimestriel ou d’OKR prennent tout leur sens. Ton job, c’est d’aligner tout le monde pour travailler dans la même direction et sur les bonnes priorités stratégiques. Et surtout de s’assurer que cette stratégie business est bien en train de répondre à un besoin utilisateur. C’est la vision classique qu’on a du rôle de product manager.

Comment définirais-tu le Product Market Fit ?

O.C. : Déjà, je dirais que ce n’est pas un moment mais un état. Je prends souvent l’exemple de l’eau : selon certaines “metrics”, comme la température, l’eau peut être à l’état liquide ou gazeux. C’est pareil pour le Product Market Fit.

Ce qui revient à battre en brèche une première croyance sur le sujet : ce n’est pas parce que tu as ton Product Market Fit que tu ne peux plus le perdre. Ce n’est pas figé. Quand on regarde Twitter par exemple en ce moment, devenu X, on peut se demander si le PMF est encore là. C’est vraiment un équilibre fragile.

Après, je dirais que tu as trouvé ton PMF… le jour où tu arrêtes de te demander si tu l’as trouvé ! En termes de croissance de l’usage de ton produit, ça se voit assez clairement. Même si tu ne sais pas toujours comment l’expliquer !

Au printemps, lors d’une table-ronde à laquelle tu as participé à La Product Conf, tu disais que cela ne servait à rien non plus de parler à ses utilisateurs. Peux-tu préciser ce que tu en entends par là ?

O.C. : Oui, c’était une façon simplifiée de dire que la seule validation qui vaille, c’est de mettre quelque chose entre les mains des gens. Dit autrement : tu ne peux pas aller voir des utilisateurs sans rien et espérer apprendre des choses sur ton produit. 

Au début d’Uku, par exemple, on allait devant les lycées en expliquant aux ado ce qu’on envisageait. On s’est vite rendu compte qu’on tournait en rond. Alors qu’avec un proto dans les mains, on apprend tout de suite des choses. On a ainsi commencé à faire des vidéos Tik Tok sur certaines de nos idées. Si on voit que cela suscite de l’engagement, on creuse en essayant de sortir le plus vite possible quelque chose.

En fait, on considère généralement que discovery et delivery fonctionnent comme des séquences dissociées. Alors qu’en fait, c’est plutôt un spectre. La phase ultime et la plus valable de discovery, c’est la delivery. D’où la volonté d’avoir la meilleure delivery possible !

À ton avis, pourquoi ce sujet du produit pré product market fit est-il si peu connu au final ?

O.C. : C’est assez logique : à ce stade, tu te bats contre la fin de ton cash donc tu n’as pas le temps de documenter ta pratique produit !

Les gens qui écrivent sur le product management ont a minima déjà engrangé leur premier succès, c’est d’ailleurs pour cela que leur parole porte. Mais, souvent, ils sont passés à autre chose et ont oublié ce qu’ils viennent de vivre.

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