Bienvenue dans l’épisode 2 de notre série sur le produit pré Product Market Fit.

Spécialiste de Product Growth, Valentine Ducharme accumule les expériences dans de jeunes entreprises : Younited Credit, Miimosa ou aujourd’hui Soil Capital. Auparavant, elle était 1ère Product Manager de la startup Matcha qui n’a pas réussi à trouver son Product Market Fit. L’occasion pour elle de se rendre compte à quel point le métier est différent à ce stade de maturité d’une entreprise.

⌛ 4 min de lecture pour désengorger ton équipe

Salut Valentine. Qu’évoque déjà pour toi cette notion de produit pré ou post Product Market Fit ?

Valentine Ducharme : Ayant toujours travaillé en early stage, j’ai connu les deux situations, parfois même au sein de la même boîte. Chez Younited par exemple, j’étais Product Manager sur un produit post Product Market Fit (PMF) mais j’ai aussi participé à la création d’un nouveau produit, un coach budgétaire en ligne. 

J’ai clairement eu plusieurs déclics quant à mon métier de PM à la suite des ces différentes expériences.

Lesquels ?

V. D. : Le premier, c’est qu’il y a des demandes adressées au produit qui correspondent à un stade de maturité bien défini. Par exemple, chez Younited, on m’avait demandé de faire un business plan de ce nouveau produit, afin d’obtenir du budget… alors que je ne connaissais pas encore ma future proposition de valeur ! 

Le deuxième déclic, je l’ai connu chez Matcha, quand j’ai commencé à bosser avec les deux fondateurs, Johan et Maxime. Je me sentais frustrée car j’avais l’impression qu’on brûlait des étapes. Je ne voulais par exemple pas commencer à coder tant qu’on n’avait pas vérifié nos hypothèses. Sauf que le temps de le faire… la priorité avait déjà disparu !

J’ai mis du temps à accepter que ces étapes étaient, dans cette situation, non constructives. Et qu’en fait, ton cycle produit de 6 semaines devait se faire en une journée. En pré-PMF, le temps doit être condensé au maximum. Je venais pourtant de boîtes très early, je pensais être déjà très flexible en termes de process produit…

« Il faut laisser tomber la réflexion sur les besoins en pré PMF. Il est préférable, à la place, de comprendre le quotidien des utilisateurs. De faire un travail ethnographique. »

– Valentine Ducharme, Soil Capital

Malgré l’échec du projet de Matcha, que retires-tu de cette expérience ?

V. D. : L’enseignement majeur, c’est qu’en pré-PMF, les PM doivent être très orientés sales ! Les ventes, c’est là où tu fais du produit et réciproquement. Tout RDV client est une occasion de recherche utilisateur. Donc si tu préfères faire du pur produit, il vaut mieux aller dans un rôle post PMF.

En fait, il faut éviter de se poser trop de questions dans ces phases de démarrage. Il faut se mettre dans la peau d’un sales en mode Maverick et se dire “Personne n’y croit, tant pis je le fais !” C’est là où tu découvres comment les gens twistent ton produit, ce qui peut t’amener vers ton PMF.

Entrons dans quelques notions concrètes. À commencer par la roadmap : faut-il en faire en situation de pré Product Market Fit ?

V. D. : Nous n’en avions pas ni chez Matcha ni chez Younited, pour le nouveau produit de coaching budgétaire. À ce stade, comme je le disais, il faut garder des cycles très rapides et ne pas s’enfermer dans une roadmap. Car la vision peut changer du jour au lendemain. Chez Matcha, on se fixait une prio chaque jour.

Après le PMF, les cycles sont un peu plus longs. Personnellement, chez Soil Capital, je fonctionne au mois, pas plus. Avec une North Star à l’année qui permet de donner un objectif, sans figer un chemin pour y arriver.

En pré PMF, je dirais qu’il faut avancer en définissant plutôt ce que tu veux tester que ce que tu veux construire. En gros, on sait ce qu’on veut observer et on verra ce qu’on fait en fonction. Il vaut mieux faire une roadmap de tests plutôt qu’une roadmap de fonctionnalités.

Que recommanderais-tu également en termes de delivery quand on est en pré Product Market Fit ?

V. D. : Là encore, ça a été une sacré remise en question pour moi. Car, en pré PMF, tu peux vite devenir le goulot d’étranglement en tant que PM ! Pour un produit mature, tu essaies toujours d’optimiser le temps des dev, ce qui représente des gains précieux pour l’entreprise. Alors qu’en pré PMF, c’est l’inverse : il faut optimiser ton temps car c’est toi qui peut ralentir la delivery…

Ainsi, chez Matcha, on se faisait des sessions de co-travail avec le dev et le designer et en deux heures, on avait quelque chose prêt à aller en prod’. 

Ce qui veut dire très concrètement que tu ne faisais plus de tickets ?

V. D. : Non. Mais il faut dire que tu ne recrutes pas les mêmes profils de dev quand tu lances ta boîte. Il faut des personnes capables d’avoir une pensée produit.

Néanmoins, je continuais à documenter tout ce qu’on faisait dans un Notion. C’est l’histoire d’une dizaine de minutes par jour, avec 3 bullet points. Mais ça vaut le coup car il est impossible de tout garder dans sa tête. L’un des pièges, c’est en effet de tester dans tous les sens et de diluer tous tes apprentissages avec le temps.

Comment gère-t-on la question de l’écoute des utilisateurs en situation de pré Product Market Fit, alors que cette tâche peut rapidement être très chronophage ? 

V. D. : Alors déjà, en pré PMF… tu n’as pas ou très peu d’utilisateurs ! Ensuite, j’ai retenu plusieurs choses de mon expérience chez Younited en la matière.

  1. Il faut toujours montrer quelque chose à tes utilisateurs pour les faire réagir. 

Si tu leur poses juste des questions globales sur ton produit, ils te diront toujours que c’est intéressant…

  1. Il faut laisser tomber la réflexion sur les besoins. Il est préférable, à la place, de comprendre leur quotidien. De faire un travail ethnographique.

Pour la petite histoire, mon père a une boîte qui fait des études de marché et, plus jeune, j’ai fait beaucoup d’enquêtes pour lui. Je passais des heures dans les bus juste pour observer le comportement des gens. Pour le nouveau produit de Younited, c’est vraiment l’approche que j’avais : j’allais parler à des gens pour qu’ils me racontent comment ils gèrent leur budget au quotidien. L’idée étant de voir comment s’encapsuler avec ton produit dans leur vie.

Est-ce une approche qui n’est plus compatible post Product Market Fit ? 

V. D. : Si, tu gagnes toujours à le faire régulièrement. Chez Soil Capital, une journée dans une exploitation agricole m’apprend 1 000 trucs. Je suis capable de mieux les imaginer dans leur vie. C’est juste qu’en post PMF, tu t’intéresses plus à des besoins spécifiques. C’est moins exploratoire.

Est-ce qu’il y a quand même des choses qui ne changent pas entre un produit pré et post Product Market Fit ?

V. D. : La mission reste la même : tu cherches toujours à amener de la valeur. C’est juste que le chemin à prendre est très différent et que tu joues sur d’autres curseurs. Mais c’est fondamentalement le même métier.

Autre élément identique : on a un rôle hyper transverse. C’est une bonne leçon car on a tendance à l’oublier en post PMF, en se refermant sur sa squad. Mais en vrai, ton rôle au produit va bien au-delà du produit. Je pense au Go-to-market, au pricing, au marketing… Travailler en pré PMF te rappelle à quel point c’est crucial.

Découvrez le précédent article de la série :