Près de 1 000 personnes réunies à Paris pour causer produit ? Bienvenue à La Product Conf 2023 dont voici notre récap en 10 moments forts.

⌛ 8 min de lecture comme si tu avais ton badge LPC autour du cou

✉️ Article issu du Ticket N°61

La folie produit aux Folies. Il fut un temps où le Paris des Années folles se ruaient dans ce temple mondial du music-hall pour voir les représentations de Maurice Chevalier, Mistinguett, Charlie Chaplin ou de Joséphine Baker, son iconique égérie. Un siècle plus tard, c’est la communauté produit française qui se retrouve aux Folies-Bergère pour y découvrir des interventions… un poil plus habillées.

Le 24 mai dernier, c’était La Product Conf, la grand-messe annuelle du Product Management en France, organisée par le cabinet de conseil produit Thiga. “La fête de famille ou tu es content de retrouver tes cousins”, résume Stéphane Delbecque

En attendant la rediffusion en vidéo des conférences, prévue pour la mi-juin, voici une petite sélection des 10 moments marquants de l’édition de cette année. Forcément subjective (on n’a évidemment pas pu assister aux 23 talks) et un peu taquine parfois (chassez le naturel…).

Le produit se tape l’affiche

1. La claque de la journée

Thiga avait déjà joué l’an passé (et en 2019) la carte du charme rétro à la française, en s’installant au Trianon, célèbre salle d’opérette de la Belle Époque. Un cran a été franchi cette année avec les Folies-Bergère. Une fois le guichet d’entrée passé, on ne peut réprimer un spontané “Wow” de surprise et d’admiration devant l’immense hall aux décors Art Déco frisant le rococo. Un décor finement kitchouille, croqué en leur temps par Manet, Zola ou Maupassant, dans lequel les stands des partenaires ont remplacé les “cocottes” dans les promenoirs.

Des kiosques de glaces Berthillon ajoutés au tableau et vous avez tous les ingrédients d’une “French Touch” assumée qui casse les codes de l’événement corpo tradi, comme on a pu le déplorer lors du Product festival à Zurich l’an passé. Un surcoût vraisemblable qui donne toutefois un cachet unique à l’événement.

Petite cousinade

2. La star de la journée

LPC n’a toutefois pas tout misé sur le lieu. Cette année, les gros calibres internationaux étaient de passage : le créateur de la méthodo Shape-Up, le Senior VP Product de Pinterest, l’autrice de Strong Product People, l’un des directeurs du Produit de Google et… Melissa Perri, la coach produit américaine autrice d’un des bouquins de référence dans le domaine : Escaping the Build Trap

Pour sa première conf en France, la fondatrice du Product Institute (le Netflix de la formation produit) a déroulé beaucoup de notions de son ouvrage paru en 2018, ce qui a pu paraître déceptif pour celles et ceux qui l’avaient déjà lu (quoique seulement une petite minorité de la salle selon les mains levées).

Son propos ? Beaucoup de boîtes sont bloquées, sans s’en rendre compte, dans ce qu’elle appelle le “Build Trap”, que l’on pourrait traduire par “piège de l’usine à fonctionnalités”. Autrement dit, elles se concentrent plus sur le volume de fonctionnalités sorties à temps (les outputs) que sur la valeur et l’impact de ces dernières (les outcomes).

Tout l’enjeu est d’arriver à sortir de ce piège de la production forcenée pour devenir “Product-led”, c’est-à-dire dans un mode où le produit tire la croissance de l’entreprise. Comment ? C’est ce qu’elle déroule au cours des près de 300 pages de son bouquin et dont elle cite, durant la conf d’ouverture, quelques points clés. Voici ceux qu’on a bien aimé : 

1) Les product managers font peur aux parties prenantes

Pour Melissa Perri, les PM se plaignent de ne pas être compris dans leur boîte… sans réaliser qu’ils ont l’image de gens qui décident de tout et qui n’écoutent personne. “Nous sommes bons pour travailler sur des petites choses mais pas pour penser grand. On se concentre sur nos pratiques de PM alors qu’il faut travailler sur la façon d’inclure les autres dans nos pratiques, afin de travailler vraiment comme une équipe”, indique-t-elle.

2) Le produit et le business ne sont pas deux équipes, le produit EST le business

Autre enjeu soulevé : les différentes équipes d’une boîte (produit, marketing, sales, tech, finance…) qui fonctionnent en silos avec chacune leur propre stratégie. Parfois, il y a même une équipe business à part… alors que le produit et le business ne doivent faire qu’un ! “Quand vous allez au restaurant, vous n’achetez pas qu’un plat, vous achetez une expérience”, résume-t-elle.

3) La stratégie produit pour savoir où l’on va

Un petit schéma enfin qui montre les différents niveaux de granularité d’une stratégie qui doit infuser progressivement du haut de la hiérarchie de l’orga (la vision) jusqu’aux équipes, en passant par les intentions stratégiques et les initiatives produit. 

Source : Melissa Perri

Une démarche assez descendante qui a un pendant ascendant avec la méthode itérative du Product Kata (comprendre la direction > Analyser l’état actuel > Fixer le prochain objectif > Exécuter) qui fixe le cadre de travail des équipes. Comme on le voit dans les visuels ci-dessous, les enseignements remontent progressivement aux N+1 de la sorte. 

Le Product Cata est bien plus répandu (mais on ne citera pas de nom…)

Elle conclut son intervention par l’importance du rôle de Product Operations pour fluidifier les échanges entre les équipes… qui est (quel heureux hasard) l’objet de son prochain livre qui sortira à la rentrée prochaine !

3. Le grand vainqueur au concours du name-dropping de la journée est…

… Jean-Noël Barrot, le ministre chargé de la transition numérique, pour la première phrase de son petit coucou surprise en intro de la plénière d’ouverture : “J’étais la semaine dernière avec Elon Musk et, comme lors du dernier CES de Las Vegas, je lui ai moins parlé de Tesla que de l’algorithme de Twitter”. Elon Musk, CES, algorithme : c’est bon, les mots clés qui pèsent sont replaqués. C’est con, à quelques jours près, il aurait pu ajouter le daron de ChatGPT…

Bon, on est vraiment des petites ordures car un ministre qui se déplace à une conf produit, c’est une première et ça montre que la discipline gagne ses lettres de noblesse. Surtout que son intervention de quelques minutes sur le plan France relance 2030 qui vise à encourager le développement du quantique ou de l’IA générative sur le territoire ainsi que la recherche d’un consensus international pour la protection en ligne des enfants n’avait rien d’illusoire. Il a même parlé d’expérience utilisateur, preuve qu’il n’était vraiment pas là par hasard.

4. La petite phrase de la journée entendue dans les coulisses

– “Et sinon, comment ça se passe de ton côté ?”

– “Bè ça va, on a licencié personne”

Grosse ambiance chez les scale-ups…

5. Le framework de la journée (sinon ce n’est pas vraiment une conf produit)

Bruce McCarthy aime les sujets relou. En 2019, lors de la 3e édition de LPC, il avait fait un talk (très apprécié) sur les roadmaps. Cette année, il abordait… la gestion des parties prenantes ! “Une compétence dont personne ne parle mais qui fait la différence entre un grand leader et un bon contributeur individuel”, annonce le fondateur du cabinet de coaching produit Product Culture

Son conseil : si tu veux l’adhésion de tes parties prenantes, traite-les comme des clients. On en a retenu deux éléments : 

1) Le framework TIPS

Ce dernier sert à classer tes parties prenantes en deux axes : en abscisse, leur intérêt pour ton produit et en ordonnée, leur influence dans l’organisation. Ce qui donne 4 typologies différentes à l’origine de l’acronyme : 

  • Team (+/+) : tes parties prenantes les plus importantes car ce sont les gens qui contribuent directement à ton produit
  • Impacted (+/-) : les personnes qui sont affectées par ce que tu vas produire (incluant les partenaires et les clients)
  • Power Players (-/+) : les personnes qui peuvent approuver, financer ou stopper le développement de ton produit
  • Subject experts (-/-) : les parties prenantes qui peuvent t’apporter des informations utiles ou des idées (exemple : un service juridique)
Qui est tout puissant dans une boîte, Bruce ?

Bilan : tout le monde est potentiellement une partie prenante pour toi… et la plupart ne bosse pas avec toi !

2) Comment identifier les Power Players ?

D’après un sondage dans la salle, ces parties prenantes clés (qui ont le plus d’influence dans l’organisation) sont à 37 % les fondateurs et à 20 % les commerciaux. 

Pour en avoir le cœur net, Bruce McCarthy recommande de se poser ces questions, iconoclastes mais révélatrices de qui tient le gros bout du bâton dans la réalité. Un exercice amusant et facile à faire dans ta boîte :

  • De quelle discipline provient le ou la CEO de la boîte ? (sous entendu, il ou elle gardera une loyauté et empathie envers ce rôle)
  • Quel département a le moins de difficulté à avoir une réponse positive pour ses besoins de recrutement ?
  • Qui pose le plus de questions sur tes roadmaps ?
  • Quel département a un rôle de “chief of” et non de “VP of” ?
  • Avec qui le ou la CEO prend régulièrement un café le matin ?

C’est grâce à ces interrogations qu’il s’est rendu compte, un jour, qu’il était dans une boîte sales-led et non product-led comme il le croyait à l’origine !

Le sujet t’intéresse ? T’inquiète, il va bientôt sortir un livre dessus au nom “caganesque” : Aligned. Va y avoir de la lecture à la rentrée…

6. La blague de la journée

Discussion lors d’une pause.

  • “Moi, je suis au Ticket”
  • “Ah, tu bosses chez Jira ?”
  • 😓

7. La conf responsable de la journée 

Il s’agit de la table-ronde sur l’accessibilité dans le produit. Voici nos enseignements flash : 

  • Le chiffre : 70 % des sites dans le monde ne sont pas conformes aux normes d’accessibilité
  • La phrase : “Faire un design system accessible, c’est pas forcément moche”
  • Les 3 conseils pour rendre son produit plus accessible :

1) S’appuyer sur un design system pour industrialiser le process d’accessibilité de ses interfaces (Loïc Guay – UX designer chez Brevo, ex Sendinblue)

2) Faire des tests utilisateurs avec des personnes en situation de handicap (Marine Boudeau – Cheffe du pôle Design des services numériques et haute-fonctionnaire handicap et inclusion)

3) Former tout le monde : dev, PM, etc (Marion Ranvier – Directrice de la Contentsquare Foundation)

Les ressources (gratuites) pour s’y mettre

Accessibilité très poussée : une conf en mode sombre

8. Le coup de coeur de la journée

Pas évident de choisir, d’autant qu’on est loin d’avoir tout vu mais, d’après les témoignages croisés d’un échantillon pas du tout représentatif, on va désigner la table ronde sur le produit pré Product Market Fit VS post Product Market Fit. Un bon cocktail entre un sujet peu abordé, une animation décontractée, un panel de chouettes personnes et des propos sans langue de bois.

En résumé : ce n’est pas le même métier et il faut “désapprendre” le produit classique quand on n’a pas encore atteint le Product Market Fit (PMF).

Une table-ronde qui a visiblement trouvé son PMF

Morceaux choisis : 

“J’ai fait 7 ans de produit avant de créer ma boîte et c’est fou à quel point les techniques que j’utilisais avant ne marchent pas en pré PMF !” (Enzo Avigo, cofondateur de June)

“Il y a deux éléments différenciants en pré PMF : tu n’as pas grand monde à qui parler car tu as peu d’utilisateurs ; et tu crées de la dette produit… que tu nettoyeras post PMF à partir du moment où ton produit ressemble trop à un patchwork” (Valentin Ducharme, 1er PM chez Matcha)

“J’ai arrêté de parler à des utilisateurs avant d’exécuter quelque chose. On a perdu l’habitude de faire confiance à notre intuition. Et de toute façon, on n’a pas le temps en pré PMF : il y a une prime à la vélocité et aux paris forts pour avoir des signaux clairs du marché” (Olivier Courtois, co-fondateur de uku.wtf)

“On ne fait plus de roadmap. Cela te fige alors qu’il faut constamment challenger ce qu’on est en train de construire en pré PMF. Nous, on bosse en cycles de un mois avec des plannings à la semaine” (Enzo Avigo)

“La tentation est forte de se substituer aux founders. En fait, je pense qu’il est préférable d’être le 2e PM d’une boîte post PMF que le 1er d’une startup pré PMF. Mieux vaut créer sa boîte sinon” (Valentine Ducharme)

“En pré PMF, n’y allez pas en tant que PM. C’est trop tôt et vous risquez de ralentir le développement plutôt que de l’accélérer” (Olivier Courtois)

9. Le cadeau de la journée

Grosse hésitation entre les chaussettes Amplitude et l’autocollant de Melisa Perri (en référence au meme “It’s a trap” que les fans de Star Wars auront reconnu) 😅

Bon pied, bon oeil

10. Le selfie de la journée

Voici le “Ellen DeGeneres du produit” : Melissa Perri, Ryan Singer (Shape Up), Sébastien Levaillant (Payfit) et Axel Sooriah (Panash / Product Squad). 

Gratin

Une table ronde d’une qualité folle, dans une petite salle intimiste de 150 places, qui a clôturé en beauté notre journée (à force de trop parler, on a raté les dernières conf plénières…). Ambiance chill, animation aux petits oignons et un message clé : à l’avenir, les PM vont devoir se concentrer beaucoup plus sur le business.

On reparlera prochainement de Ryan Singer dans Le Ticket, c’est pourquoi on ne creuse pas plus ses interventions. Mais on retient quand même deux phrases chocs ici :

  • Melissa Perri : “Un jour, Scrum va disparaître, je vous le garantis” #RIP
  • Ryan Singer, après un débat contradictoire très stimulant avec Seb Levaillant sur la culture produit des tech : “Nous sommes à une conf produit et il n’y a aucun dev. C’est un danger, faites gaffe !” #Fossé

Pour aller plus loin : 

Si tu veux consulter d’autres synthèses de l’événement, on te conseille : 

  • Ce dessin de Sylvère Duval sur la conf de Melissa Perri
  • Ou ceux de Matthieu Allemand
  • Ce résumé de Adrien Hembert (qui parle du retour d’expérience de Valérie Legat de Carrefour dont on a en effet entendu beaucoup d’échos positifs)
  • Le carrousel de Cassie Leroux publié dès le lendemain