Que retenir de la 11e édition du Product Management Festival, l’un des raouts majeurs du produit en Europe ? On s’est rendu à Zurich pour le savoir. Compte-rendu.

 

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 ✉️ Article issu du Ticket n°068

Direction la Suisse. Le 16 novembre dernier, Le Ticket a passé la journée dans un cinéma à Zurich. Histoire de se mater Barbie en langue de Goethe ? Pas tout à fait : pour assister, comme l’an passé, à la 11e édition du Product Management Festival (PMF), un des plus gros événements européens de la discipline.

Pas forcément le plus festif, malgré son nom, mais assurément celui qui propose l’un des panels les plus denses en termes de noms de boîtes clinquants. Rappelons que Google a fait de la métropole helvétique son principal point d’ancrage hors des États-Unis (5 000 employés). La proportion de “Zooglers” (les Googlers de Zurich), ex ou actuels, y atteint donc des sommets.

Voici la synthèse de notre prise de note de la journée, entre deux parties de Mario Kart sur Super Nintendo.

 

La montée des marches

 

1) Le mot de la journée du Product Management Festival 2023…

Attention, prépares-toi à la surprise du siècle… IA générative ! Ce fut le grand thème de cette année et notamment celui de la keynote d’ouverture de Jonathan Rochelle, le cofondateur de Google Drive, aujourd’hui VP Product de Linkedin Learning.

En introduction, ce dernier s’est d’ailleurs prêté à un petit jeu : demander à ChatGPT (via Bing, le moteur de recherche de Microsoft… propriétaire de Linkedin) de le présenter. Le résultat ? Plutôt pertinent. Malgré quelques hallucinations, comme “auteur de plusieurs livres” (il n’en a écrit aucun) ou “l’un des product managers les plus influents dans le monde” (“C’est ma mère qui a dû entraîner cette IA !”, ironise-t-il).

Petit tacle au passage envers son ancien employeur : il a fait le même exercice avec Bard, l’IA générative de Google, qui lui aurait répondu “Je n’ai pas assez d’informations sur cette personne”.

Sinon ? On a retenu qu’il y a aujourd’hui 33 fois plus de publications et 21 fois plus d’emplois qui mentionnent “IA générative” ou GPT” qu’il y a un an sur le réseau privilégié des growth marketeux (on comprend mieux pourquoi on est saoulé). Que ce n’est pas le futur mais le présent pour de nombreuses tâches des Product Managers (générer des idées, écrire des specs, générer des slides…).

Et qu’on va bientôt devoir se préparer à l’émergence (l’indigestion ?) d’un nouvel acronyme : RAG, pour Retrieval Augmented Generated. Une technique qui va permettre d’obtenir des résultats plus pertinents et de citer des sources dans les réponses des IA génératives.

 

Ici, ici… c’est Rochelle

Ah, on a aussi découvert une nouvelle expression au passage : FOBO, pour Fear of Being Obsolete (la peur de devenir dépassé). Très courant quand on passe trop de temps sur Linkedin justement…

 

2) Le conseil de la journée…

Le PMF a eu la bonne idée de reconduire cette année ses petites sessions intimistes de conversations, sans support de présentation, avec des product leaders. On a assisté à celle avec Avni Shah, qui a passé près de 20 ans chez Google (notamment en tant que VP Product de Chrome ou de Google for education) et qui siège aujourd’hui au Board de l’organisation Women in Product.

Les questions ont beaucoup tourné autour de la notion de mentoring. Ses réponses:

  • “Il est très facile de dire oui à une demande de mentorat. Mais il faut être bien clair sur ce que chacun ou chacune cherche dans cette relation. Pour les mentors, il faut éviter la notion de “trophée”. Pour les mentoré·es, il faut éviter de vouloir faire plaisir à son ou sa mentor. L’objectif n’est pas de perdre du temps à se faire des bouffes à sa gloire… cela doit être utile pour sa carrière !”
  •  “Avant de dire oui, il est préférable de tester quelques sessions pour vérifier que le courant passe et que le style est similaire”
  • “Un·e mentor doit être une personne qui ne travaille pas au quotidien avec soi. Il faut qu’elle soit objective et qu’elle puisse apporter une perspective différente”
  • “Il faut se donner l’auto-permission d’être mentoré·e et y accorder du temps”

 

Raphael Leiteritz, fondateur de la PMF, modérateur de la session et -ô surprise- ex-Googler ajoute un élément : “Attention aux biais de confirmation des coachs ! Je pourrais dire aux salariés de Google qui me consultent de quitter la boîte comme je l’ai fait – ce qui me rassurerait intérieurement. Pourtant, je leur recommande exactement l’inverse. Je suis en effet un mauvais exemple : je suis parti car je n’ai pas réussi à changer les choses dans mon job pour rester”.

 

Le rideau sur l’écran est tombé

 

3) La pub (subtile) de la journée…

Elle est l’œuvre de Itamar Gilad, interrogé il y a peu dans Le Ticket (avec de très bons retours d’après ce qu’il nous a confié !). L’ancien de Google (en toute originalité) a en effet proposé, au début de sa keynote, de gagner son nouveau livre, Evidence-Guided. Un petit QR Code à scanner, un petit formulaire en ligne à remplir et hop, en 30 secondes, le tour est joué, la conf peut commencer. Et 5 participants ont pu rentabiliser (une toute petite partie de) leur place.

Pour le reste, on ne va pas redire ce qu’on écrivait il y a quelques semaines. Tu peux retrouver l’article de son interview ici (y’a pas qu’Itamar qui balance des pubs subtiles).

 

Le PMF, une conf qui envoie du bois
 

 

4) Le contre-pied de la journée…

Après Itamar Gilad qui prône une approche scientifique du Product Management, on s’attendait à voir des étincelles lors de la conf’ de Cassidy Fein, Principal Group Product Manager chez Microsoft. “Le produit est un art et une science. Mais la priorisation est plus un art qu’une science”, lance-t-elle au début de son intervention au titre alléchant “La priorisation sans pitié, comment créer les meilleurs produits à partir de ce que l’on connaît à l’instant T”.

 

Avant d’ajouter : “Les framework peuvent guider une prise de décision de manière rigoureuse. Mais ils peuvent aussi amener à un faux sentiment de sécurité”.

Et puis… plus rien ! La montagne a accouché d’une souris.

Alors qu’on s’attendait à un éloge de l’intuition ou des convictions dans le produit ainsi qu’une remise en cause argumentée des framework, on a juste eu droit à une suggestion d’utiliser le modèle Kano ou l’User Story Mapping.

Le RICE en a toutefois un peu pris pour son grade en tant que framework à éviter selon elle :

 

“Cela marche quand tout le monde est aligné sur les définitions et que ces dernières restent stables dans le temps. Mais trop souvent, je vois des entreprises qui le remplissent de manière arbitraire et qui en font un argument d’autorité sous prétexte que les chiffres ne mentent pas”.

Ce qui est sympa, c’est qu’elle a quand même fait une page spéciale de sa conf à Zurich sur son site. Si tu veux te faire ton propre avis.

 

Mise en abyme : un framework pour choisir son framework

 

5) La conf de la journée…

Elle a une petite voix et ne vient pas du monde du produit… mais on a beaucoup apprécié l’intervention de JJ Rorie, professeure à l’Université américaine Johns Hopkins et autrice du livre IMMUTABLE: 5 Truths of Great Product Managers (qu’elle n’a pas pu faire gagner comme Itamar, à son grand regret).

Son sujet ? La manière de construire des relations quand on travaille au Product Management. Un sujet par nature complexe pour des humains qui ont tous et toutes différentes façons de penser, de ressentir des émotions, d’interpréter des situations, de communiquer…

“Rassembler toute cette diversité afin de construire le meilleur produit, c’est ce qui rend le métier de PM aussi intéressant !”, s’enthousiasme-t-elle (on doute malgré tout que ce soit la première chose que tu te dises quand tu te retrouves face à une partie prenante récalcitrante mal luné·e le lundi matin).

Même si elle reconnaît qu’il n’est pas possible de “processer” une manière pour entretenir de bonnes relations avec ses collègues, elle divulgue tout de même une méthode pour essayer d’y tendre.

 

Des PM&Ms

Première étape : savoir où l’on se situe au sein de son écosystème (qui englobe le design, les dev, le marketing, les commerciaux, le support client, la finance etc.) Selon elle, des relations fortes tiennent en une valeur cardinale : la confiance. Que cela soit la confiance envers nous en tant que PM, que celle envers le produit en train d’être construit.

Ces deux dimensions permettent de construire une matrice contenant 4 typologies de personnes, en fonction du degré de confiance accordé par la partie prenante :

 

    • Les Champions (qui font autant confiance à vous qu’au produit) : c’est le type de relation qu’on aimerait avoir avec tout le monde
    • Les Allié·es (confiance pour vous, moins pour le produit)
    • Les Soutiens passifs (confiance dans le produit… mais pas en vous)
    • Les Détracteurs (n’ont confiance ni en vous ni dans le produit)

 

 

“Il n’est pas ici question de bonne ou de mauvaise personne. Il faut juste savoir dans quelle boîte se situe chacune de ses parties prenantes”, précise JJ.

 

Deuxième étape, que tu vois sans doute venir : comment construire ou entretenir la confiance envers ces différents profils. Selon elle, cela tient à trois notions souvent galvaudées :

 

    • La collaboration (embrasser différentes perspectives, idées, opinions pour remettre en question le statu quo)
    • La communication ouverte (incarner un sain niveau de débat contradictoire)
    • L’empathie (être bienveillant, positif et avec de bonnes intentions)

 

Si l’on revient à notre matrice initiale, cela veut dire qu’il faut agir différemment selon les profils :

 

    • Pour les champions, il faut alimenter (nurture) la relation. Autrement dit, en en prenant soin, en sortant parfois de la routine du quotidien pour prendre un peu de hauteur avec des questions comme “Comment je peux t’aider ?”, “Comment ça va de ton côté ?”, “Est-ce que je peux te parler des derniers échanges que j’ai eu avec des utilisateurs” ?

 

“Ne négligez jamais vos champions, rappelle JJ Rorie, ce sont les personnes qui vont vous aider à en convertir d’autres”.

 

    • Pour les allié·es, il faut cultiver la relation. À savoir, prendre leurs points pour construire le meilleur produit (“Comment tu résolverais le problème, toi ?”, “Qu’est-ce qui ferait que le produit serait meilleur selon toi ?”, “Est-ce que tu serais d’accord pour analyser ensemble les derniers tests utilisateurs ?”)

 

 

    • Pour les soutiens passifs, il faut construire la confiance interpersonnelle (“Que puis-je faire pour rendre ton job plus facile ?”, “Comment pourrait-on mieux collaborer ensemble ?”, “Quels sont tes besoins ?”)

 

 

    • Pour les détracteurs, il faut enfin réparer la relation, en ouvrant une conversation qui sera difficile. Ils ne deviendront pas forcément champions mais, au moins, ils ne te mettront plus de bâtons dans les roues (“Peut-on lister les problèmes puis les traiter successivement”, “Es-tu d’accord pour qu’on se concentre seulement sur la résolution de cet enjeu pour le moment ?”, “Pouvons-nous poser certaines bases pour bien travailler ensemble ?”)

 

 

Un exercice de gestion des parties prenantes qui nous rappelle la conférence donnée six mois plus tôt à LPC Paris par Bruce McCarthy. Les deux combinées, te voilà déjà un peu plus outillé pour naviguer au sein de ton écosystème.

 

6) La pub (grossière) de la journée

Dans la famille “produit de Google”, je voudrais Youtube et Google Shopping. Bonne pioche, voici Oliver Heckmann, leur ancien VP Engineering, aujourd’hui Head of Engineering du logiciel Coda. Un parcours bien solide pour cet allemand qui a dirigé la plus grande équipe tech de Google en Europe et qui a déjà vécu dans 5 pays.

Son intervention, sobrement intitulée “Leçons apprises de Google et de la Silicon Valley” s’avérait bien alléchante. D’autant qu’après une brève présentation de Coda, il promit de ne pas passer toute sa conférence à faire de la promo. Raté.

Pour la faire courte, son constat est de dire qu’il est difficile de concilier la planification et l’exécution car, d’un côté, on utilise en moyenne plus de 200 documents (emails, Slack, Excel etc.) pour définir en équipe sa planification et, de l’autre côté, plus de 250 outils (Intercom, Zoom, Asana, tableau, Google Analytics etc.) lors de l’exécution. Un fossé et une déperdition d’informations se créent alors.

Tu vois venir la suite ? Et oui, la solution c’est donc… d’utiliser Coda pour tout centraliser !

 

Maître Coda

Avec le petit flyer de la boîte posé en amont sur notre siège et le petit logo parmi les partenaires de l’événement, ça faisait quand même beaucoup. “Je ne suis pas venue ici pour voir un pitch commercial”, se désole notre voisine. Ah ces pubs maquillées en conf…

 

7) La phrase de la journée du Product Management Festival 2023

 

“S’il y a bien un métier qui ne peut pas se contenter d’être en mode « passager », c’est bien celui de Product Manager”.

 

La dernière séance

Son auteur : Andrey Khusid, le CEO de Miro, invité vedette de la dernière conf de la journée.

Une question est posée à la salle : qui connaît la vision de son entreprise ? Une bonne moitié de mains en l’air ! Andrey rebondit : “Et combien parmi vous challengent votre direction à ce sujet ?” Un tiers des mains se baissent.

 

“On ne peut pas se cacher en tant que PM, il faut être des drivers et des challengers”, insiste celui dont le produit compte 65 millions d’utilisateurs et dont l’objectif est de construire une boîte “générationnelle”.