MPG, c’est un jeu de “fantasy football” créé en 2011 qui revendique 3M d’utilisateurs (en gros, tu fais ton équipe avec des vrais joueurs et s’ils marquent dans leur match réel, tu inscris autant de buts dans ton match virtuel). Bon, on rassure certain·es, on ne va pas parler foot aujourd’hui mais product management avec Benjamin Fouquet, son cofondateur et responsable produit. Qui nous raconte un enjeu qui peut parler à beaucoup de PM : faut-il garder son site quand on est une appli grand public ? Une histoire qui mêle gueulantes de la communauté, refonte technique et même Web 3. 

⌛ 6 min de lecture sur le banc de touche // 📩 Article issu du Ticket n°044

Salut Benjamin. Commençons par le début : pourquoi avoir décidé de fermer votre site Web ?

Benjamin Fouquet : C’est une décision que l’on prend en mars 2020, au moment où on lance la refonte de l’appli MPG. Pour parler un peu technique, on utilisait à l’origine un vieux plugin Cordova qui nous permettait d’avoir une seule codebase pour les versions iOs et Android et le site Web. Autrement dit, l’appli n’était qu’une coquille au sein de laquelle on faisait tourner des Webviews du site. Problème : on avait pas mal de dette technique et surtout on ne pouvait pas faire évoluer le jeu comme on le voulait.

On a donc fait le choix techno de passer en React Native, pour garder cette notion de code hybride sur mobile… et très vite s’est posée la question du maintien du Web. En effet, moins de 3 % des utilisateurs n’utilisaient que le site et seulement 13 % utilisaient le Web et l’appli pour jouer tandis que le mobile représentait 96 % des pages vues. Est-ce que le coût de développement et de maintenance se justifiait ? Pas vraiment (cf cette publi récente de Lenny).

On est une toute petite équipe (NDLR : une petite vingtaine de personnes dont 80% à la tech) et il faut faire des choix d’entreprise pour ne pas se retrouver dans le rouge. D’autant qu’on prend cher à cette période avec le Covid, les stades vides et l’arrêt du championnat de France.

En janvier 2021, vous annoncez donc la fin du site à votre communauté. Et là, c’est le drame…

B.F. : On dit en effet qu’on va couper le Web dans 6 mois, pour laisser la saison se terminer et préparer les utilisateurs. Ce qui provoque un branle-bas de combat avec beaucoup de bruits sur les réseaux sociaux et même des pétitions en ligne disant “Rendez-nous le site” !

Honnêtement, on savait que cela allait faire grincer des dents mais on a été surpris par l’ardeur de nos power users (= les utilisateurs les plus actifs). D’une certaine façon, cela nous a confortés sur l’amour qu’ils portaient au jeu. Leur véhémence était à la hauteur de leur engagement. Pour certains, MPG, c’est plus qu’un jeu, c’est un outil social.

Est-ce que cela vous a fait hésiter à changer votre fusil d’épaule ?

B.F. : Non, car ce n’était pas une décision bête et méchante. Elle était juste d’un point de vue entrepreneurial. On avait estimé que le développement de la version Web aurait représenté 45 % de travail en plus. Compte tenu de la taille de l’équipe, ce n’était juste pas possible financièrement.

On a donc fait un gros travail d’éducation pour expliquer les raisons de ce choix en mettant en balance la nouvelle application plus complète qui allait arriver. La seule chose qu’on a peut-être sous-estimée, c’est le confort que procurait le Web. 

Même s’il ne faut pas se tromper d’indicateur dans ces cas-là : ce qui fait foi, c’est la data. C’est-à-dire la réalité des comportements. Il y a toujours une différence entre le déclaratif et l’analyse des chiffres. En l’occurrence, certes on a perdu quelques utilisateurs, mais on en a récupéré une bonne partie sur l’appli… même certains qui disaient qu’ils ne l’utiliseraient jamais !

En juillet 2021, vous lancez la nouvelle application MPG, et débranchez le site. Quelles sont les réactions des utilisateurs à ce moment ?

B.F. : C’est en effet la fin d’un énorme chantier de 18 mois. On est parti d’une feuille blanche et on a tout remis à plat, l’API et le front-end. La pilule du site est passée. Toutefois, comme toujours, dès que tu changes des comportements, même si c’est pour le mieux, les utilisateurs sont perdus.

Le fameux “C’était mieux avant”, on l’a entendu 20 000 fois ! En même temps, tu ne peux pas lutter. Tu ne peux pas changer 5 ans d’habitude et de navigation les yeux fermés en quelques semaines.

On s’est aussi pris des retours négatifs parce qu’on avait des problèmes de performance sur des téléphones très anciens. C’est le problème de React Native qui demande un peu de puissance de l’appareil. On a donc été obligé de faire un travail de deux mois de refacto pour être compatible avec une panoplie plus large de téléphones (99% du parc en l’occurrence).

Mais globalement, on a constaté +15 % d’activité sur notre North Star Metric (le nombre d’utilisateurs qui font leur équipe en fin de semaine) et on est revenu à nos niveaux d’avant Covid. Malgré le Web en moins, ce qui nous a confortés dans notre choix.

Et pourtant… vous prenez alors la décision de relancer votre site ! Pourquoi ce revirement ?

B.F. : Honnêtement, au moment où on fait le pari de “l’app only”, on n’a pas l’intention de revenir sur le Web. Mais le contexte a évolué.

Déjà, globalement, l’industrie du jeu est en train de basculer vers le Web 3 et ce virage stratégique, on a envie de le prendre aussi. Pour le moment, l’usage du Web 3 sur mobile n’est pas super approprié. Cela viendra avec le temps mais, en l’état, cela te pousse à revoir ta stratégie pour faire tes premières versions bêta sur le Web. Si l’on voulait entamer des réflexions sur ce sujet, il fallait donc remettre un pied dedans.

Ensuite, on écoute toujours notre communauté, par le biais de groupes de travail sur les réseaux sociaux. Le fait qu’elle ait pris la parole sur ce sujet a alimenté notre réflexion. Ce qui a un côté très gratifiant : les personnes qui nous avaient insultés il y a un an, nous remercient aujourd’hui !

Enfin, de manière très opérationnelle, on a refait un chiffrage sur le coût que prendrait le retour d’une version Web, circonscrite à seulement quelques fonctionnalités essentielles. On s’est aperçu qu’il n’y avait que trois mois et demi de taf, surtout en design et front-end. Avec un petit challenge technique qui branchait bien les développeurs.

Et en mars, on s’est rendu compte qu’on avait pris de l’avance sur notre roadmap et qu’on avait lancé toutes les nouvelles fonctionnalités sur l’application que l’on voulait. On avait donc une fenêtre de 3 mois devant nous qui venait de s’ouvrir. Et on s’est dit Go !

En juillet 2022, un an quasiment jour pour jour après l’avoir débranché, le site est de retour sur MPG. Voyez-vous une évolution des comportements des utilisateurs ?

B.F. : C’est difficile à dire car on est seulement deux mois après le lancement de la saison et que tout le monde ne sait pas que le site est revenu. Toutefois, on a quelques signaux. 

On s’était aperçu par exemple que les powers users faisaient nettement moins de ligues par année depuis l’arrêt du Web, car c’était moins confortable pour tout gérer. Et là, on voit qu’ils sont de retour. Dès que tu leur remets leur joujou entre les mains, ils sont contents et ils nous l’ont clairement fait savoir.

Ce qui est marrant, c’est qu’on avait perdu une étoile de satisfaction dans les Stores d’applications à la suite de la fin du site. C’est paradoxal ! Alors que les gens sont censés noter une application, ils évaluent en fait une expérience globale. Et là, en remettant le site, on a tout de suite récupéré des meilleurs avis, notamment grâce à ces power users qui sont toujours ceux qui se manifestent le plus spontanément.

Par ailleurs, sans surprise, on voit que les temps moyens de session sont deux à trois fois plus élevés sur Web que sur mobile. Même si, en cumulé, 90% du temps passé dans le jeu reste sur l’appli.

Et au final, est-ce que cela s’est traduit par un grand changement au sein de l’équipe produit ?

B.F. : La seule grande différence concerne la roadmap. Désormais, on se pose systématiquement la question : est-ce qu’on fait cette fonctionnalité sur le Web aussi ? Mais comme on a pris la décision d’avoir volontairement une version light du site, avec juste les parties de l’expérience qui étaient les plus confortables sur Web, cela ne change pas grand chose.

Par exemple, la consultation des scores des matchs le week-end ou tout l’aspect social avec la messagerie entre utilisateurs d’une ligue, on s’est dit que c’était un usage vraiment mobile. Donc on ne l’a pas dupliqué sur le Web. Ce qui nous permet de nous concentrer sur nos prochains projets, avec notamment notre jeu de pronostics, Mon Petit Prono, lors de la Coupe du monde cet hiver.