En 2023, le célèbre site de petites annonces a fait de la méthode FOCUSED, issue du livre Discovery Discipline, son modèle de référence pour mener ses Discovery produit. Et ce, auprès de ses 60 feature teams ! Ses Design managers David Bouard et Mathias Frey (consultant chez Thiga et en mission désormais chez Yousign) racontent comment.

⌛ 6 min de lecture pour chiner les pratiques des autres

Voici le résumé du bouquin si tu veux (re)découvrir la méthode FOCUSED de Discovery Discipline. Pour voir comment l’écosystème l’a mise en place… RDV dans la prochaine édition du Ticket !

Bonjour David et Mathias. Comment la méthode FOCUSED, tirée du livre Discovery Discipline (ed. Thiga), s’est-elle retrouvée chez Leboncoin ?

Mathias Frey : Déjà, je tiens à rappeler que Leboncoin ne partait pas de nulle part. Nous avions auparavant des modèles de cadrage produit avec des questions un peu similaires à FOCUSED.

Sauf que chaque équipe avait sa propre méthode. Dans l’absolu, ce n’est pas tant un problème. Mais on se disait qu’il serait bien d’avoir une méthodologie commune qui pouvait permettre d’aligner tout le monde, d’avoir un vocabulaire commun et de faire monter en compétences les personnes plus juniors sur une base standardisée. 

La sortie de Discovery Discipline, en mai 2022, tombait au bon moment. Le terreau était fertile en interne avec beaucoup de personnes curieuses et demandeuses. On s’est dit que c’était une bonne occasion de structurer nos principes de discovery.

David Bouard : L’étincelle a eu lieu le 13 octobre 2022. On a organisé une conférence en interne, durant le déjeuner, avec Tristan Charvillat, l’un des auteurs du livre, aujourd’hui VP Product Design de Malt. Cela a eu un super écho avec beaucoup de questions et de participations (une cinquantaine de personnes sur place et plus d’une centaine en ligne). 

« L’apport numéro 1 de Discovery Discipline, c’est l’alignement. »

– Mathias Frey

Que s’est-il passé ensuite ?

M. F. : Nous avons œuvré pour avoir l’adhésion des directeurs et directrices produit, ce qui n’était pas si difficile étant donné que beaucoup étaient déjà proches de Rémi Guyot, notamment Romaissa Cherbal qui était bêta lectrice du livre.

En parallèle, nous avons incité les membres de l’équipe design à être des relais de la méthode dans leur équipe auprès des Product Managers et des Product Owners, afin de leur en montrer la valeur ajoutée. On a mis en place des formations, on a acheté des bouquins et on a fait beaucoup de talks en interne pour faire de FOCUSED la méthode de discovery de référence chez Leboncoin. 

D. B. : Oui, on s’est vraiment donné les moyens. La mise en place de Discovery Discipline était même un des objectifs, au sein des OKR, de nos équipes en 2023 ! 

Quand et comment s’est passée le déploiement concrètement ?

D. B. : En janvier, tout était prêt et il s’est fait grosso modo jusqu’en mars, auprès de toutes les équipes.

« On a appliqué la méthode FOCUSED à la lettre. Je pars du principe que, avant de commencer à improviser une recette, il faut déjà bien savoir la faire une fois. »

– David Bouard

Quelle rapidité alors que l’on parle de 60 Feature Teams et de plus de 600 personnes à la Tech et au produit ! Comment expliquez-vous cette vitesse d’exécution ? Et pourquoi ne pas l’avoir testé auprès de quelques équipes pour commencer ?

M. F. : Cela a été rapide car il y avait un vide à combler. On a bien commencé par quelques équipes initialement mais c’est allé au-delà de ce que l’on avait prévu. La plupart des équipes étaient vraiment partantes pour s’y mettre. D’autant qu’il y avait un vrai consensus si ce n’est un plébiscite de la part de la direction produit.

D. B. : Mon analyse personnelle, c’est que ce succès prouve que la méthode est bien faite. À l’époque, il y avait pléthore de méthodos dans tous les sens. Mais celle-ci a eu une résonance particulière car elle était relativement simple, avec 7 étapes facilement compréhensibles, elle avait le mérite de porter le nom qu’elle procure et était le fruit de personnes reconnues dans leur domaine.

M. F. : Sa simplicité est d’ailleurs aussi bien la force que la faiblesse de la méthode. Elle est hyper accessible donc n’importe qui peut comprendre ce fonctionnement en 7 étapes. Mais elle est plus difficile à appliquer concrètement car tu peux vite tomber dans le remplissage de cases à trou, sans forcément te poser les bonnes questions.

Justement, comment l’avez-vous appliquée ? Avez-vous modifié des éléments ? 

D. B. : On l’a appliqué à la lettre. Je pars du principe que, avant de commencer à improviser une recette, il faut déjà bien savoir la faire une fois. Il n’empêche, on a quand même eu des retours de personnes plus réticentes, au motif que cela paraissait long ou exagéré. On a été un peu rigide au début en indiquant qu’on l’appliquerait telle quelle, mais qu’on pourrait itérer quand on aura suffisamment de recul.

Cela fait donc plus de 6 mois que vous utilisez la méthode FOCUSED. Qu’est-ce que cela a changé concrètement ? 

M. F. : L’apport numéro 1, c’est l’alignement. Dans certaines équipes, on constatait parfois des incompréhensions entre le produit, la tech, le design et d’autres parties prenantes, sur la manière dont on devait concevoir les choses. 

Cette méthode nous a clairement permis de nous aligner sur ce qu’on allait produire. Je pense par exemple à l’étape CLAIM, où tu explicites ta proposition de valeur. Cela a eu pas mal d’impact en termes de clarification de ce qu’on envisage de livrer.

D. B. : J’ajouterais également le langage commun et le fait d’assumer l’étape STEAL (s’inspirer d’autres produits). On avait cette candeur de penser que cela n’était pas bien de vouloir copier. Là, avec Rémi et Tristan qui ont du crédit en France, ça nous donne le droit de le faire ouvertement et de l’assumer !

Il y aussi une notion qui m’est chère : la radicalité. Le fait de définir précisément les problèmes et de faire des choix forts pour les résoudre. On n’y est pas du tout encore chez Leboncoin mais, au moins, cela nous donne l’ambition d’y arriver.

M. F. : C’est vrai que c’est difficile d’être radical quand on a un produit utilisé par la moitié des Français. Mais on espère que FOCUSED nous aidera justement à progresser. C’est toujours la question de l’œuf et de la poule : faut-il avoir un cadre pour gagner en maturité ou l’inverse ? Nous, en tout cas, on a désormais un cadre avec Discovery Discipline.

Avez-vous mis en place des rituels spécifiques autour de cette méthode FOCUSED ?

D. B. : Généralement, à chaque discovery, on a un canal Slack avec le business, le marketing, la tech, le design et le produit dedans. À chaque activité, on partage la synthèse des enseignements ou le livrable. Nous avons aussi un rituel qui s’appelle “Le bon feedback”. 

De quoi s’agit-il ?

M. F. : Toutes les deux semaines, on se prend 30 minutes avec les Product Owners, Managers et Designers d’une crew ainsi que la directrice produit pour revoir les livrables et discuter des activités qui nous ont permis d’y arriver. C’est censé être un coup de tampon de validation de la directrice produit.

S’agit-il de la dernière étape de FOCUSED, à savoir le D de Decide ? Autrement dit, la validation ou non de la mise en production de la solution conçue ?

D. B. : Il y a la belle histoire qu’on aimerait raconter et la réalité du terrain. Théoriquement, on devrait en effet trancher à la fin de la discovery si c’est une bonne ou une mauvaise idée. 

Sauf que dans les faits, on a des sujets qui viennent de pas mal de parties prenantes et qui sont décidés stratégiquement au préalable. De ce point de vue, FOCUSED nous sert plus d’outil de damage control (réduction des risques).

D’ailleurs, je vois mal un no go pour un sujet qui arrive à l’étape Decide. Normalement, tu as pivoté bien avant.

M. F. : Je suis d’accord. Au CLAIM, la 3e étape, si tu testes correctement ta proposition de valeur, tu dois être capable de dire si ce que tu fais est une connerie ou une bonne idée. Ce qui nous est arrivé plus d’une fois et cela nous a justement permis de rectifier le tir.

Utilisez-vous Discovery Discipline pour chacune de vos discovery ?

D. B. : Dès que l’on n’est pas dans de l’amélioration continue, je dirais que oui. Il faut savoir qu’on fonctionne en Dual Track chez Leboncoin. C’est-à-dire qu’à chaque trimestre, on travaille en delivery sur le sujet qu’on a traité en discovery au trimestre d’avant. Autrement dit, on a 3 mois de discovery pour chaque sujet. On est donc face à des enjeux plutôt conséquents un trimestre sur l’autre.

Vous parliez de réticences de certaines personnes. Quels sont les limites ou défauts de Discovery Discipline selon vous ?

M. F. : “C’est overkill (trop lourd)”. Voici un des premiers feedbacks qu’on nous a fait sur la méthode FOCUSED et contre lequel on s’est beaucoup battu avec David. Sauf que le temps est un faux argument : tu peux passer 5 minutes sur chacun des livrables si tu es sûr de toi et que tu penses t’être posé les bonnes questions. À partir du moment où tu as le choix des activités pour arriver à tes livrables, cela reste assez flexible. 

Personnellement, l’avertissement que je ferais, c’est que ce n’est pas un outil d’aide à la décision stratégique. C’est bien quand tu es au bout du tunnel de la discovery. Mais ce n’est pas Discovery Discipline qui va te dire si tu es dans la bonne direction d’un point de vue stratégique. Mais tout simplement parce que ce n’est pas le but de l’ouvrage !


Crédit de la photo de couverture : © RP RIBIERE


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