La Product Conf (LPC), la plus grande conférence produit en France, était de retour le 20 mai dernier aux Folies Bergère, à Paris. La coloc’ du Ticket y était en tant que partenaire média de l’événement. Voici nos enseignements majeurs.
⌛ 10 min de lecture de Folies
✉️ Article issu du Ticket n°109
Ce que tu vas apprendre dans cette synthèse de La Product Conf 2025 :
(tu peux cliquer sur les liens pour te rendre à la section correspondante)
1- Notre ressenti global de La Product Conf 2025
2- Le moment fort de La Product Conf 2025 : “Interface Zero” de Michael Baeyens
3- La tête d’affiche de La Product Conf 2025 : Ravi Mehta
4- Les 5 citations marquantes de La Product Conf 2025
6- L’utilisation méconnue de l’IA par Leboncoin pour améliorer son produit et son service client
7- Comment Meetic a fait la transition vers un modèle freemium
1- Notre ressenti global de La Product Conf 2025
Le changement dans la continuité. Pour sa 8e édition, le célèbre grand raout du produit en France (1 200 participant·es, un record) s’est offert un léger reboot. En retravaillant son positionnement, sa mission, sa vision et son identité visuelle.
“Nous sommes une conférence locale, assumons-le”, lance en mot d’introduction Hugo Geissmann, cofondateur de Thiga, le cabinet de conseil qui organise La Product Conf.
Conséquences : moins d’intervenants internationaux aux titres clinquants et des conférences majoritairement en français cette année, pour en finir avec l’incongruité des speakers français qui parlaient en anglais à une audience… à 99% francophone (parfois au détriment du propos).
Une “French Touch” revendiquée aussi par le décor aussi majestueux que kitchouille des Folies Bergère, ce temple mondial du music-hall durant les Années Folles, qui a servi de décor à LPC 2025, comme il l’avait été déjà deux ans plus tôt.

Globalement, et d’après plusieurs avis, les conférences, quoique inégales, étaient de meilleure qualité que l’an passé. Moins d’interventions “inspirationnelles”, plus de retours d’expériences concrets. Avec quelques nouveautés, comme le pas de côté original sur la philosophie libertarienne par Renaud du Peloux, l’auteur du roman Ross. Pas inintéressant. Ou la fresque poétique de Michael Baeyens (cf 2e point), pourtant membre d’une agence concurrente de Thiga (bel esprit).
Parmi nos bémols, le criant manque de parité sur la scène principale et l’absence d’invitation à prendre du recul sur les enjeux sociaux et environnementaux du produit (et de l’IA), comme on peut le voir par exemple à l’événement School of Product, au parti pris plus engagé.
Comme d’habitude, les salles annexes étaient bondées, provoquant quelques frustrations. La rançon du succès.
En bref, une “bulle d’air frais dans le quotidien des Product Managers” toujours aussi appréciable pour l’écosystème, avec une ligne édito généraliste qui permet de picorer parmi les tendances actuelles du product management.

2- Le moment fort de La Product Conf 2025 : “Interface Zero” de Michael Baeyens
Il a (encore) tué le game. Michael Baeyens, dit “Mitch”, a incontestablement signé LA keynote de cette édition 2025. Voire au-delà. En près de 5 ans à couvrir des conf’ produit, on n’avait encore jamais vécu une telle expérience. Ni vu une telle salve d’applaudissements spontanés à sa conclusion, recouvrant la poignante mélodie de Wandering Heights de Kate Bush.
“Chef-d’œuvre narratif”, “show hypnotique”, “Un des meilleurs épisodes de Black Mirror en live”… Comment décrire ce moment hors du temps, où l’univers musical et visuel, en fond, ajoute à la dramaturgie de l’instant autant qu’il nourrit le storytelling ?
Dans la droite lignée de son (culte) Human (After All), le directeur Design & Product de l’agence eXalt et initiateur de “La conf qui tue le game”, n’est pas monté sur scène pour donner des conseils pratiques. Mais pour livrer une vision prospective de ce que pourrait être demain, à partir des signaux faibles d’aujourd’hui.

Un exercice à mitchemin entre la projection et la fiction, esquissant une forme de dystopie où les agents IA seraient devenus les principaux utilisateurs et prescripteurs du Web et des produits numériques.
“Les personnes qui connaissent mes prises de parole savent que je n’arrive pas nécessairement avec des bonnes nouvelles”, prévient l’ancien head of product & design de France TV et directeur créatif dans la pub.
Voici une sélection de 7 extraits marquants :
1- Une irrémédiable vague
La technologie évolue plus rapidement que notre capacité à en prévoir les répercussions. Plus personne ne peut prédire le futur étant donné qu’il est à la lisière de notre présent.
Ce qui était la pointe de l’actualité le matin pourrait être de l’histoire ancienne à la fin de la journée. Comme disait ma grand-mère, “on n’arrête pas la marée avec une serpillère”.
2- La fin de la planification
Les produits numériques reposent depuis plus de 50 ans sur des interfaces graphiques. Pour des utilisateurs qui étaient principalement des êtres humains.
Mais l’essor de l’IA générative a changé notre monde et, désormais, tout le monde peut créer un visuel personnalisé, développer un produit ou un site Web avec une simplicité déconcertante.
On peut reproduire une interface graphique en un clin d’œil et cloner un site en langage naturel, à partir d’un simple chat. Ce qui nécessitait une équipe complète ne prend plus que quelques heures et une seule personne.
Product Manager, Dev’ ou Designer… On peut désormais concevoir, prototyper et déployer de manière totalement autonome sans la moindre compétence en design ou en code. La barrière technique et de l’expertise s’effondre complètement.
On va assister à l’hybridation de nos métiers et à la diminution des équipes. On va arrêter de faire des roadmap et des PRD et préférer créer de la valeur instantanément avec des prototypes. On va arrêter de prévoir l’impact, on va juste l’observer.

3- La fin des interfaces
L’agent IA peut désormais lire nos interfaces même moches et mal conçues. Le modèle passe de la parole à l’action. L’agent sait comprendre une intention, prendre des décisions et interagir avec le monde de manière autonome dans le Web.
Paradoxe : alors qu’il n’a jamais été aussi facile de construire des interfaces, l’interface graphique est sans doute une espèce en voie de disparition. AI is the new UI.
De nouveaux protocoles, comme les MCP, permettent de faire dialoguer les IA entre elles et de recourir aux données de nos produits via des API sans avoir besoin de consommer nos interfaces.
Comme un enfant, l’environnement numérique a grandi et sait désormais se servir de la parole. L’UI n’était peut-être qu’un outil de transition bientôt obsolète.
4- La fin de la navigation
Pendant 20 ans, Google a soigneusement ordonné Internet et les éditeurs suivaient les règles établies. Google a transformé le Web en une nomenclature standardisée. Les sites Web ressemblent désormais tous à des bases de connaissances uniformes.
Paradoxe : cette structuration uniforme du Web a rendu le contenu plus facilement ingérable et a permis aux IA de crawler massivement des contenus. Une aubaine pour les nouveaux concurrents de Google qui sont désormais capables de parcourir, d’extraire et de synthétiser l’information.
On assiste à une disparition des moteurs de recherche au profit de moteurs de réponse. La navigation devient implicite et désormais l’agent choisi pour nous. Pour répondre à ce nouveau besoin, nous allons devoir concevoir des contenus pensés en 1er lieu pour une IA et pas juste pour des humains.
Nous allons devoir designer non plus des parcours utilisateurs mais des parcours d’intention où l’IA naviguera à travers des API et décidera pour nous. On passe d’une interface graphique à une interface conversationnelle.
Que va-t-il se passer quand on se rendra compte que le trafic humain sur nos produits sera résiduel ? Ce ne sera plus à l’utilisateur qu’il faudra plaire mais à l’agent. Le bluff est suffisant pour que nous jouions le jeu.

5- La fin des marques
Bienvenue dans l’ère des produits invisibles. Plus d’UI, plus d’identité visuelle, plus de branding. Les marques s’effacent.
Le design graphique, une arme de distinction identitaire au tout début, commence déjà à s’éteindre dans sa quête d’efficacité. L’industrialisation génère des standards qui finissent naturellement par supprimer toute forme de distinction et d’originalité.
6- Le début de nouvelles opportunités
Les utilisateurs formulent tout seul leurs intentions alors que jusqu’ici nous cherchions à les deviner. C’est une incroyable opportunité de répondre à de vrais besoins.
Notre rôle ne sera plus de créer des parcours et des écrans mais d’optimiser l’interaction entre l’IA et les humains. La transfo agile sera abandonnée au profit de la collaboration avec des robots.

7- L’humain comme frein naturel au changement
Pas de panique. Si vous avez l’impression que tout ça va trop vite, n’ayez crainte : l’humain est un frein naturel au changement.
L’inertie de nos orgas est le dernier rempart naturel contre les évolutions. On a inventé la bureaucratie et les DSI, qui sont des armes particulièrement efficaces pour lutter contre le changement.
On avait l’habitude d’entendre cette phrase : l’idée ne vaut rien, ce qui compte, ce sont les équipes et l’exécution. C’est faux : plus rien ne pourra plus empêcher une bonne idée d’être produite. L’IA débloque la contrainte de la faisabilité.
Nous allons pouvoir avoir recours à ce qui fait de nous des humains et que les machines ne pourront jamais dupliquer, l’impulsion qui ne s’appuie sur aucun fondement rationnel et qui est pourtant à l’origine des meilleurs produits : notre intuition.
Voilà.

3- La tête d’affiche de La Product Conf 2025 : Ravi Mehta
Qui dit LPC, dit speakers de renommée internationale. Cette année, c’est Ravi Mehta qui a fait le déplacement depuis la Silicon Valley pour fouler la scène des Folies Bergères. L’ex CPO de Tinder et directeur produit de Facebook (avec son nom, il était prédestiné), également auteur du modèle de parcours carrière de référence dans le monde du produit, a parlé (ô surprise !)… d’IA.

Le cœur de son propos : Comment construire un produit IA différenciant quand tout le monde a accès aux mêmes capacités (en l’occurrence, les modèles de OpenAI, Anthropic ou Mistral par exemple) ?
Réponse : en assemblant avec finesse les 3 briques de Lego nécessaires à un bon produit IA. À savoir :
- Sa donnée propriétaire (qui donne le contexte aux modèles IA)
- Ses fonctionnalités (qui détermine comment l’IA doit se comporter)
- Et donc les capacités IA
Les deux premières étant les avantages compétitifs uniques de chaque orga, au même titre que la compréhension des besoins utilisateurs non satisfaits.
Les liens entre ces 3 briques constituent la formule magique que les concurrents ne pourront pas copier.

Concrètement, voici ce que recouvrent ces briques :

Et voici comment ce framework peut s’appliquer par exemple à la nouvelle fonctionnalité IA de Miro, Sidekick.

Un bon rappel des basiques.
4- La question de La Product Conf 2025 : “C’est quoi le Wifi ?”

Nouveauté de cette année : une conversation sur l’état du produit en 2025 avec une partie du Board de LPC. L’occasion pour le public de poser ses questions en direct… encore fallait-il avoir la connexion pour y arriver !
Cette question la plus votée nous a bien fait rire (on est bon public). Un vrai besoin utilisateur arrive toujours à s’exprimer, même de manière détournée.
Bizarrement, aucune question n’a été posée au final. Rideau.

5- Les citations marquantes de La Product Conf 2025
– “Quelle est la stack d’IA à laquelle j’ai accès pour expérimenter ?”
C’est, selon Lucas Cerdan, membre du Board de LPC et Principal Product Manager, une des questions clés à laquelle il faudra de plus en plus répondre côté employeur lors d’un entretien d’embauche.
Un problème d’accès à l’IA en interne qui représente un nouveau “risque de recréer une forte différence entre les boîtes pures tech et les grands groupes”, s’inquiète lors de ce débat Hugo Geissmann de Thiga.

– “On a A/B Testé notre équipe de vente pendant 4 mois… et on s’est rendu compte qu’elle n’avait pas d’impact significatif”
François de Kerret est le CEO et fondateur de Zeffy, un équivalent de HelloAsso (billetterie et cagnotte pour les assos) qui opère exclusivement au Canada et aux US… mais avec son équipe à Paris.
En 2022, il se demande : est-ce qu’on a vraiment besoin de Sales ? Sous-entendu : ça coûte cher, c’est pas “scalable” et… j’ai la flemme de recruter ! L’hypothèse : est-ce que les prospects deviennent chauds grâce aux Sales ou parlent-ils aux Sales car ils sont déjà chauds ?
Pendant 4 mois, il fait donc un A/B test méthodique : 50 % des prospects sont pris en charge par des commerciaux et l’autre moitié se débrouillent solo.
Résultat : pas de différence significative. Du moins, pas assez pour justifier la moitié des dépenses de la boîte. La sentence est irrévocable : 3 commerciaux (basés au Canada) sont remerciés et 2 autres sont basculés vers le Customer Success (sur une boîte de 15 personnes) !
Un choix radical qui leur permet de faire un investissement sur l’IA (70 % du support est aujourd’hui automatisé), d’affiner leur funnel de conversion, d’être profitable dès 2023 et de passer en 3 ans de 1 à 30 millions de revenus annuels récurrents (ARR). Le tout, en restant une petite équipe (40) efficace et à la culture forte. Un talk cash qui ne laisse pas indifférent !

– “Stop avec le titre de Product Owner ! Tu n’es pas “propriétaire” du produit, il ne t’appartient pas. Comment tu veux que les dev’ se sentent responsables sinon. Ton rôle, c’est d’orchestrer”
Voici le cri du cœur de Nacéra Benfedda, l’ex CPO notamment de Viadéo et du groupe Se Loger, qui milite en parallèle pour renommer les dev’ en “Product Developer”, au cours d’une conversation produit très rafraîchissante et joviale.
Le thème ? La performance des équipes produit. On a notamment retenu qu’il ne suffit pas d’additionner des gens brillants mais qu’il faut au moins autant tenir compte de la qualité des relations, du respect d’un cadre et de valeurs communes, de la clarté dans la perception (subjective) des objectifs. Sans oublier un leadership partagé et distribué et une sécurité psychologique assurée au sein de l’organisation.
On a beaucoup aimé le parallèle très instructif avec le milieu du sport, apporté par Manon Eluère qui a coaché les joueuses de l’Olympique Lyonnais (la meilleure équipe du monde de foot féminin durant plusieurs années) et son “social network analysis”, une cartographie des soutiens émotionnels et sociaux au sein de l’équipe.

– “Mieux vaut vendre un produit qu’on n’a pas encore construit que construire un produit qu’on ne vendra pas”
Une perle de Rémi Guyot, ex BlaBlaCar & Paypal et co-auteur de Discovery Discipline, lors de la discussion avec Sophie Muto (Leroy Merlin) et Christopher Parola (Yousign) qu’on a animé. Mais comme on en fera un article dédié lors de la sortie du replay, on n’en dit pas plus. Pas de “divulgâchage” (= “spoil” en québécois).

– “5 personnes dédiées au design system, ça me paraît perché !”
En plénière de clôture, le fondateur de la solution de mailing Brevo, Armand Thiberge, a raconté son passage de témoin au 1er CPO de la boîte en 2017. L’une des idées qu’il a mis le plus de temps à accepter ? Investir dans un système de design “qui n’a pas un impact assez direct”.
On y apprend également que les CPO sont selon lui les personnes les mieux placées pour devenir CEO (“La personne qui connaît le produit et les clients doit être celle qu drive le business”), que le métier de CEO est avant tout de la vente (“j’encourage tous et toutes les CPO à vendre”) et qu’au 1er trimestre 2025, Brevo (50 M€ d’Ebitda) a acquis 65 000 nouveaux clients, soit plus que ses concurrents Hubspot ou Mailchimp. Conclusion : “Demain, on sera n°1 mondial !”

Découvre les autres résumés des interventions de La Product Conf 2025 :
Retrouve toutes nos synthèses des interventions de La Product Conf 2025 ici |
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