💡 Cet article fait partie de la Collection Arriver à la parité dans son orga produit

En février 2021, Laure Nilles, Lead product Manager chez MeilleursAgents publiait un article sur la mixité et le product management. Elle nous explique pourquoi.

Laure Nilles

Est-ce que tu peux déjà nous raconter pourquoi avoir voulu écrire cet article sur la mixité au sein de l’équipe produit et tech ?

Laure Nilles : Je vais vous raconter l’histoire depuis le début, pour que vous compreniez le contexte. En fait, moi, je n’ai pas fait des études tech mais une école de commerce, où il n’y a pas de problème de parité dans les effectifs. 

Je découvre cet enjeu en m’intéressant au produit. Quand j’arrive chez Meilleurs Agents, en février 2018, je suis la seule femme de l’équipe (5 personnes au produit et une quinzaine de dev’ à l’époque). C’était la première fois que je me retrouvais dans cette situation, même si cela ne m’a pas posé de difficulté.

L’un des directeurs m’a demandé un jour si les blagues n’étaient pas trop sexistes dans l’open space. Cela m’a fait bizarre car je ne voyais vraiment pas de problème. Bon, il y avait juste le mouvement massif vers Fifa après le dej’ !

À quel moment as-tu pris conscience qu’il pouvait y avoir un enjeu ?

L. N. : Au bout d’un an chez MeilleursAgents, une personne me demande d’intervenir dans une conférence sur la diversité. Franchement, je n’ai pas compris. Qu’est-ce que j’allais bien pouvoir dire ? Que je suis une femme entourée d’hommes ? Je ne vois pas très bien la valeur ajoutée…

À ce moment, ton ressentiment, c’est quoi ? De l’indifférence ?

L. N. : On peut même dire de l’agacement. J’ai un collègue qui me disait :

“Laure, tu devrais en parler, te rendre publique. Tu pourrais inspirer d’autres femmes”

Franchement, je trouvais ça super prétentieux. J’étais junior dans ma boîte, à quel moment j’allais inspirer des gens… Ce qui m’agaçait, en y réfléchissant, c’est que je n’avais pas conscience qu’il y avait un problème. Ni de l’impact positif d’en parler ouvertement. C’est tout le sujet des rôles modèles. 

Toutes ces femmes qui présentent leur parcours, bien sûr que cela a un impact en fait. Pour des jeunes filles, des étudiantes ou même en interne. On se dit que c’est possible. Je n’en avais pas conscience auparavant mais j’y crois beaucoup aujourd’hui. Et le sujet ne m’agace plus désormais, au contraire !

Au moment de la demande de participation à cette conférence, j’avais tout de même fait un embryon d’article sur le sujet mais il n’y avait que trois paragraphes. C’était nul. Je ne savais pas quoi dire. Et je n’avais aucune solution à apporter. Ces trois paragraphes sont donc restés en jachère. Jusqu’au jour où je me suis dit : c’est bon, j’ai des choses à raconter et des solutions à proposer.

Que fut le déclic ?

L. N. : Je dirais que ce sont les recherches que j’ai commencé à faire sur l’écriture inclusive. C’est parti d’une curiosité personnelle pendant le premier confinement. Il n’y avait aucun but professionnel au début. Comme je suis un peu la personne relou sur le français dans l’équipe et que je ne voyais passer que des articles négatifs sur l’écriture inclusive, soi-disant responsable de la mort de la langue française, j’ai décidé de m’y intéresser. 

C’était fascinant de voir les dimensions historiques, linguistiques, sociales… Et j’en ai vu une implication directe dans mon métier. Surtout : cela a débloqué des choses en moi. Je me suis rendue compte qu’il fallait que j’en parle. Que j’avais une responsabilité, en tant que PM, de faire en sorte qu’on ne s’adresse pas qu’à une majorité mais à tout le monde. 

Avec du recul, est-ce que tu dirais que c’était une question de confiance en soi ?

L. N. : Bien sûr. Je manage et je fais passer beaucoup d’entretiens à des femmes et à des hommes et je vois bien qu’il y a plus d’enjeu de confiance en soi et d’affirmation pour des profils féminins. Cela s’explique par de multiples raisons, dans lesquelles je ne rentrerais pas tellement c’est vaste. Je dirais juste que c’est une construction, un cadre dans lequel on grandit.

D’ailleurs, cela aide d’avoir un environnement favorable pour s’affirmer. Si je n’avais pas eu Christopher (NDLR : le CPO de Meilleurs Agents) pour me laisser de la place et m’encourager à le faire, si je n’avais pas eu Aminata (NDLR : la responsable du recrutement) qui impulse une culture d’entreprise très propice, je n’aurais sans doute pas publié cet article. Entre le début de l’écriture de l’article et sa publication, il s’est passé 2 ans. Cela vous donne une bonne idée du cheminement que cela a pris…

Les locaux de MeilleursAgents. Avec l’arbre. Qui cache Laforêt.

Parlons produit un peu. Tu disais plus haut que tu te sentais une responsabilité en tant que PM. Tu peux préciser ?

L. N. : Quand tu vois que, juste en enlevant un certain type de vocabulaire dans des offres d’emplois, tu dopes tes candidatures féminines, tu te dis : pourquoi ça ne serait pas la même chose sur une interface Web ? 

On avait cette problématique chez nous, notamment au niveau de la formulation des rôles. On parle “du” directeur d’agence et de “l’assistante”. Dans la réalité, c’est souvent ça. Mais est-ce que ça veut dire qu’on doit pour autant répéter ce schéma ? Et ne pas prendre en compte qu’il y a des assistants et des directrices ? On ne peut pas ne s’adresser qu’à la majorité et exclure une partie de nos utilisateurs. 

Qu’avez-vous fait ?

L. N. : On a ajouté la féminisation des fonctions. J’ai commencé par en parler à mon équipe. C’était super intéressant de déclencher cette discussion. C’est un vrai choix de product management d’investir du temps dans ce sujet. Sachant que tu sais d’avance que cela n’est pas fondé sur une stratégie ou un potentiel retour sur investissement. Il sera même impossible d’avoir des retours dessus, personne ne nous fera la réflexion en test utilisateur.

Mais je pense que cela fait partie de la vision du PM que de s’assurer que le produit s’adresse à tout le monde. Même si on a une belle dette à rattraper en termes de féminisation des interfaces en 12 ans d’existence…

À quand un Meilleur·e·s Agent·e·s donc ?

L. N. : Vous rigolez mais on s’est posé des questions au sujet des termes qu’on utilise tout le temps : agent immobilier et vendeur. Et sérieusement, féminiser ces mots, c’est super compliqué ! “Agente immobilière”, personne n’a jamais entendu. Pour vendeur, c’est encore pire. Le féminin, c’est… venderesse ! Impossible, là, le fossé est trop grand. Donc la première contrainte, c’est l’habitude. La deuxième, c’est le SEO. On ne peut clairement pas faire n’importe quoi non plus.

On revient rapidement sur ce que tu disais à propos d’un certain vocabulaire à proscrire dans les offres d’emploi. C’est quoi par exemple ?

L. N. : Globalement tout le champ lexical de la concurrence extrême, de la guerre ou de la compétition sportive : « sans peur », « ambitieux », « chasseur »…

Avec des objectifs très marqués, une notion de challenge omniprésente, du vocabulaire très rationnel et autour de la perfection : « forte expertise », « maîtrise parfaite »… Et je ne parle pas des mots geek comme “ninjas du code” ou des entreprises qui parlent de l’importance de Fifa dans leur ambiance de boîte. C’est dévastateur pour des candidatures féminines.

Quelles recommandations ferais-tu aux personnes qui chercheraient à s’impliquer dans leur boîte sur ces enjeux de mixité et de parité ?

L. N. : La première chose, c’est d’accepter de porter le changement. Ça ne se fait pas du jour au lendemain et il faut bien commencer avec une personne référente qui impulse le mouvement. Moi, j’ai accepté de le faire. Parfois, j’ai un peu regretté : ce n’est pas facile de tomber sur une fiche de poste ou un écran qui n’est pas du tout inclusif et d’aller envoyer un petit message à la personne concernée. 

Mais je considère que, comme j’ai contribué à lancer ces sujets, je dois aussi accepter de porter le changement. Même si, bien entendu, j’essaie de faire en sorte que d’autres personnes supportent la dynamique. Ce qui est le cas. Il suffit de réveiller certaines consciences parfois.

Et c’est gratifiant de voir que cela paie. On est une équipe complètement mixte aujourd’hui. Certaines femmes recrutées nous ont même dit qu’elles avaient remarqué nos efforts. Ce qui prouve bien que cela envoie un bon signal à l’externe. D’autant que c’est plus facile de candidater dans des équipes où il y a déjà des femmes.

Juste un petit mot pour conclure sur ta présentation en interne sur l’écriture inclusive, dont tu as déjà parlé précédemment. Tu nous racontes comment tu l’as amené au sein des équipes ?

L. N. : En fait, la version que vous voyez n’a rien à voir avec la première que j’avais faite au début. J’avais commencé à la partager dans mon équipe, car je savais qu’elle était ouverte à la discussion. J’ai pris leurs questions et les points de friction pour l’améliorer. Puis, je l’ai partagée aux RH, comme un de leur rôle est de rédiger les offres d’emploi. Puis, cela a été diffusé à l’équipe marketing… Et ainsi de suite. J’ai vraiment été surprise de l’accueil positif. Les gens étaient super intéressés !

Il faut dire qu’il y a une vision réductrice de l’écriture inclusive qui consiste à dire qu’il faut juste mettre un point d’union partout. Mais c’est important de raconter toute l’histoire et se dire qu’une langue, c’est vivant. Que la réalité influence autant une langue qu’inversement.

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