💡 Cet article fait partie de la Collection Arriver à la parité dans son orga produit

En février dernier, Amandine Durr, Product Director chez ManoMano écrivait un article sur la parité homme / femme tout juste atteinte au sein de son équipe produit. Celle qui gère une dizaine de feature teams (et autant de PMs) revient sur l’envers du décors de cette annonce. 

Salut Amandine. Déjà, pourquoi as-tu voulu écrire cet article ?

Amandine Durr : C’était vraiment une réussite à mes yeux et je voulais marquer le coup. C’était important de le célébrer et, tant qu’à faire, autant en profiter pour donner des billes aux autres. 

Tu peux nous expliquer plus en détails pourquoi c’était important de le “célébrer” ?

A. D. : Tout simplement parce que c’est rare ! Personnellement, ça fait une dizaine d’années que je travaille dans le produit en France et aux Etats-Unis et j’ai toujours travaillé dans des équipes majoritairement masculines. Si ce n’est même, parfois, en tant que seule femme.

Ce n’est pas juste pour le bien des femmes mais pour l’ensemble de l’équipe et de la boîte. Quand on travaille sur des produits en B2C (NDLR : pour le grand public), on a vocation à être utilisé par tout le monde. Des hommes et des femmes. Donc en bout de ligne, ce sont ces utilisateurs et utilisatrices qui seront impactés par ce changement.

C’est toute la question de la diversité dans le produit qui se pose plus globalement ici.

A. D. : Tout à fait. On a besoin de l’altérité des points de vue en tant que PM. C’est comme ça qu’on construit un meilleur produit, qu’on a plus d’utilisateurs et plus de satisfaction.

Ce n’est pas simplement une question de parité mais de diversité. Mais l’une ne va pas sans l’autre : la diversité est à risque si tu n’as pas une parité. C’est vraiment en deux temps. 

Quand tu dis qu’une équipe paritaire permet de faire des meilleurs produits, tu t’en rends compte concrètement aujourd’hui au sein de ManoMano ?

A. D. : Oui, j’en sens les effets notamment dans les dynamiques de réunion. Il y a clairement eu un avant et un après. Toutes les semaines, on se rassemble pour faire le point sur ce qu’on a fait et pour se poser des questions sur la suite. Je vois qu’on a plus de débats entre nous et qu’on se dit les choses différemment. 

Je pense vraiment que ces changements de posture sont liés à la plus grande diversité des profils. On arrive avec moins de certitude, on est plus prudent dans ce que l’on avance. Et pour moi, le doute est une qualité essentielle d’un.e PM.

Est-ce qu’avoir une équipe paritaire était un objectif que tu t’étais fixé en arrivant chez ManoMano, en janvier 2020 ?

A. D. : Quand je suis arrivée, il n’y avait que des hommes dans mon équipe. Donc, oui, c’était un objectif, même si ce n’est pas quelque chose que je suis allée crier sur tous les toits. C’était hyper important à mettre en place mais il fallait le faire de manière subtile et intelligente. 

Bon allez, on va te poser la question que vraisemblablement tout le monde se pose : comment as-tu fait ? Tu as opté pour la discrimination positive ?

A. D. : Non. Je dirais que c’est plus une conjugaison de deux facteurs : du soft power / influence et du recrutement interne.

Sur le premier point, je travaille avec une recruteuse et je lui ai dit d’emblée que ce point était important pour moi. Elle avait donc ça en tête. L’influence passe par les messages que l’on passe au marché, les articles que l’on écrit, le ton des offres de job… Cela infuse petit à petit et c’est très efficace à long terme. 

Moins facile à court terme par contre, non ?

A. D. : Le revers de la médaille en effet de ne pas avoir de politique affirmative, c’est qu’il est plus long d’influencer la sphère externe et qu’on se retrouve souvent avec 95% de CV masculin.

C’est pour ça que je parle aussi de recrutement interne car c’est plus facile d’avoir une influence au sein de la boîte pour commencer. Et, compte tenu de la maturité du product management en France, on n’a pas le choix : il faut former les gens ! Autant l’assumer totalement et dire qu’on va mettre en place des formations pour permettre la mobilité interne.

Aujourd’hui, il y a 10 personnes dans l’équipe. 5 femmes donc. 4 viennent de mobilité interne. Avec des expériences et des horizons bien plus divers également.

C’est-à-dire ?

A. D. : Clairement, quand tu parles de mobilité interne, tu vas moins regarder les études. Les gens ont déjà franchi la porte de l’entreprise donc il y a déjà eu une validation sur l’attachement culturel à la boîte au préalable. Et ça change la perspective.

On a par exemple une PM qui vient de l’équipe chargée de la qualité des vendeurs sur la plateforme. Elle apporte donc ce point de vue et cet angle différent. Je vois vraiment les vertus d’être passé par une autre équipe. 

Alors, certes, en contrepartie, il faut passer plus de temps sur la formation en product management. Mais étant donné que le bassin n’est pas extensible en France, cela doit faire partie de la stratégie de cultiver son propre réseau de talents à l’interne.

Et concrètement, comment tu as fait pour attirer des femmes en interne ?

A. D. : Alors, déjà, je tiens à dire que je ne suis pas allée chasser chez mes collègues ! C’était plutôt des candidatures spontanées, dans des contextes bien différents. Il y a des personnes, des femmes, qui sont venues me voir proactivement, alors qu’il n’y avait pas de poste ouvert. Quand des opportunités se sont créées, je suis retournée les voir et on en a discuté avec leur manager.

Maintenant, avec un peu plus de maturité, c’est le contraire : on publie les postes ouvertement et on reçoit les candidatures internes.

A ton avis, est-ce que le fait que tu sois une femme explique que ce sont plutôt des femmes qui sont venues te voir ?

A. D. : Bien sûr que cela a une influence. Je suis certaine que cela a enlevé des bloqueurs inconscients et que cela leur a permis de plus se projeter.

Tu n’as pas des mecs qui ont gueulé ?

A. D. : Non, je n’ai reçu que des réactions très positives. La semaine dernière, j’ai même été contactée par un data engineer chez nous. Il n’a que des hommes dans son équipe, il ne reçoit que des CV d’hommes et il souhaite changer les choses. Pour moi, c’est la meilleure des récompenses.

Et tu lui as dit quoi ?

A. D. : La même chose que ce que j’ai fait. Il faut 1) influencer et faire passer les messages 2) avoir recours à la mobilité interne et 3) se demander si la formation en interne est possible.

À titre personnel, as-tu été victime de discrimination dans ta carrière ?

A. D. : Oui. Enfin, c’est peut-être un peu fort de parler de discrimination mais des remarques déplacées, du sexisme ordinaire, du fait que je sois une femme, oui. Une fois, on m’a dit que c’était bien que je sois à un rendez-vous car c’était une femme en face. Euh… Non, en fait je suis venue parce que c’est mon job !

Il y avait aussi un collègue qui commentait tous les jours comment je m’habillais à voix haute dans l’open space. Un jour, je lui ai répondu : “Moi je ne commente pas comment tu t’habilles parce que je m’en fiche complètement !” Il n’a plus jamais fait de remarque. Mais c’est hyper dur de réagir sur le coup. 

D’ailleurs, il ne faut surtout pas s’en vouloir de ne pas répondre sur le moment ! Sinon, c’est la double peine : déjà que tu te prends un sale coup, alors en plus si tu te flagelles en disant que tu n’as pas bien répondu…

Que faut-il faire dans ce cas selon toi ?

A. D. : Il faut oser en parler après coup. Par exemple : “C’était pas bien ce que tu as dit et j’aimerais qu’on revienne dessus”. Mais il ne faut pas laisser passer car, ce genre de remarque, c’est insidieux et ça plombe ta confiance mine de rien. Ce qui n’est pas bon pour la suite car cela nuit à ta capacité de progresser. Tu vas te mettre tes propres barrières.

Après, la vraie bonne réponse à ta question, c’est d’avoir le cadre qui permet de se sentir légitime à alerter. C’est bien de pouvoir en parler à d’autres personnes et d’échanger ses points de vue. Si on n’est pas dans une boite qui permet ça, il faut s’enfuir en courant ! Elle ne mérite pas qu’on se démène pour elle.

Ce n’est même pas une question de rapport hommes / femmes mais de valeur de boîte. Il peut exister une multitude de dérives individuelles et si le cadre de la boîte ne permet pas d’en parler en confiance, ça ne va pas.

On revient un peu à notre première question mais, pourquoi tu as voulu t’engager personnellement sur ce sujet ?

A. D. : Déjà, c’est important de diffuser la bonne dynamique qu’on essaie d’impulser en interne. On ne va pas se le cacher aussi : c’est tactique et stratégique pour l’entreprise. Il ne faut pas sous-estimer la guerre des talents des scale-ups. Si tu te prives de la moitié de la population, tu auras d’autant moins de chance de recruter les bonnes personnes.

Après, d’un point de vue personnel, je trouve que la notion de confiance est tellement fragile parfois chez les femmes et il n’y a pas tellement d’exemples auxquels se référer… Il faut donc se serrer les coudes et essayer de donner de l’inspiration, très humblement, à son petit niveau. C’est ce qui nous fait sentir plus fortes. On a toujours intérêt à partager des expériences et à apprendre les un.e.s des autres.

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