Product Marketing Manager chez Linkedin à New-York, Head of Go-to-Market strategy pour WeWork à Londres et aujourd’hui Head of Product Marketing de Qonto à Paris… Les profils comme celui de l’autrichienne Theresa Gschwandtner sont rares en France. Entrevue en guise de décryptage du Product Marketing à la sauce de la licorne de gestion financière pour PME.

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🔗 Cet article est l’épisode 3 de notre Collection « Product Marketing – Découvrir les fondamentaux »

Salut Theresa, peux-tu nous raconter, pour commencer, comment tu es tombée dans le product marketing ?  

T. G. : J’ai commencé ma carrière dans les ventes, en contact avec les clients. Mais j’ai toujours été obsédée par le produit. J’adorais faire part de mes avis à l’équipe produit. Jusqu’à ce qu’un jour, une personne chez Linkedin me dise : tu es la vendeuse la plus ennuyeuse à toujours parler produit… tu devrais faire du product marketing !

C’est la première fois que tu entendais parler de ce rôle ?

T. G. : Oui. On était en 2015 aux Etats-Unis et la discipline commençait à devenir sexy. J’ai réalisé que c’était vraiment le métier que je voulais faire, entre le produit et les ventes.

Tu bossais sur quel produit chez Linkedin ?

T. G. : J’ai notamment travaillé sur un des plus gros lancements produit de l’entreprise au cours de ces dernières années : Talent Insights. Un service qui permet, grâce aux insights de la plateforme, de prendre les meilleures décisions sur l’emplacement des bureaux d’une entreprise compte tenu des talents qui s’y trouvent. L’équipe était énorme donc j’étais plus focalisée sur la partie go-to-market et n’avait pas vraiment d’influence sur le produit en tant que tel.

Ensuite, je suis revenue en Europe pour travailler au siège européen de WeWork, à Londres. Là, il s’agissait davantage d’une mission de positionnement, qui plus est d’un produit physique : WeWork for corporates. À l’époque, je vais être schématique mais WeWork était connu pour le coworking et le beer pong. Je devais trouver comment convaincre, disons HSBC, de prendre des bureaux chez WeWork.

Puis le Covid est arrivé. Le contexte était horrible, personne ne venait aux bureaux. J’ai alors changé de rôle et au lieu de seulement lancer ou positionner un produit, j’en ai créé un. Avec ma casquette de product marketing, j’étais proche des clients mais plus en tant “qu’amie” que vendeuse. Ce qui fait toute la différence. Nous avons alors conçu un produit pas très complexe techniquement, appelé All Access, qui permettait à un client de réserver n’importe quel WeWork en fonction de l’endroit où il vivait.

Theresa Gschwandtner
« Nous défendons la découvrabilité au sein du produit, nous défendons les deep links, nous défendons les leviers qui devront être mis en place pour augmenter son adoption etc. Cela peut paraître superficiel mais ces éléments sont nécessaires pour qu’une fonctionnalité ait du succès. »

Puis, en 2021, tu rejoins Qonto

T. G. : Oui, on était deux Product Marketing Managers pour près de 20 Product Managers. Entre aujourd’hui, où nous sommes une équipe de 16 PMM, et mon arrivée, notre champ d’action a totalement changé.

Ce que nous faisions à l’époque, ce n’était pas vraiment du product marketing, c’était très tactique. Les product managers venaient nous voir en disant : “J’ai cette fonctionnalité, j’ai besoin d’atteindre ce niveau d’adoption, est-ce que tu peux m’aider ?” Ce qui voulait dire faire des FAQ, mettre à jour les landing pages, s’assurer que les utilisateurs comprenaient bien ce que nous essayions de leur dire… 

Pas la partie la plus intéressante du boulot on imagine…

T. G. : Non, en effet. Progressivement, on s’est toutefois intéressé à des parties plus excitantes selon moi en s’impliquant de plus en plus en amont de la conception du produit. Après avoir fait nos preuves toutefois ! Marc-Antoine, le CPO de Qonto, m’a dit une fois qu’il s’est rendu compte que lorsqu’une personne au product marketing était impliquée, la fonctionnalité était de meilleure qualité.

Personnellement, si l’on me demande ce que fait le product marketing, je dirais de manière très simple : nous savons comment vendre un produit. 

Quand je dis vendre, je ne dis pas simplement comment faire payer les clients. Mais plutôt comment favoriser l’adoption, l’upsell, la fidélisation… Comment faire en sorte que le client comprenne la valeur. Et ça, on n’a plus de chance d’y arriver si on est impliqué dès l’amont de la conception produit.

C’est-à-dire ?

T. G. : Vous avez fait un article sur la Qonto Way, vous savez que, chez Qonto, on passe d’une phase de Value Analysis (VA, en gros la discovery), où l’on cherche à viser les étoiles, à une phase de Value Engineering (VE) où les ingés arrivent pour passer à la conception technique. Ces derniers trouvent généralement que ce qui est envisagé est trop cher et vont supprimer toutes les bonnes choses dont nous avons besoin au product marketing, sous prétexte que c’est accessoire.

Sauf que, pour nous, ce n’est pas le cas. Si on ne met pas en place le bon déclencheur pour que la fonctionnalité soit utilisée (comme un product tour ou un bon onboarding par exemple), la fonctionnalité va mourir et tomber dans l’oubli des paramètres du produit. Pas parce qu’elle ne marche pas mais juste parce que l’expérience client n’est pas idéalement construite.

Où se situe le product marketing au sein de ce que l’on appelle généralement le “trio” Product, Design et Tech ?

T. G. : Et bien dans la phase de VA, on fait partie du trio avec le design et le produit. La technologie vient après. Notre responsabilité, c’est de nous assurer que l’on saura comment vendre le produit ou la fonctionnalité sur laquelle on va travailler. On apporte la perspective business et commerciale afin de prendre la direction produit la plus judicieuse.

Comment se passe la répartition entre ces trois rôles ? Et qui prend la décision finale sur le produit ?

T. G. : Pour moi, ce sont les PM qui restent responsables du produit et qui, officiellement, vont prendre les décisions. Ce sont un peu les chefs d’orchestre qui synchronisent la gestion du produit de bout en bout et s’assurent que tout le monde sait ce qu’il a à faire. J’attends d’eux qu’ils soient extrêmement précis sur les fonctionnalités dont nous avons besoin et sur les Jobs-to-be-Done.

Côté design, il y a une obsession du client mais plutôt en termes d’expérience lors de l’usage. Nous, au product marketing, on se concentre sur la manière dont nous pouvons vendre le produit ou la fonctionnalité. En entretien utilisateur, on va beaucoup creuser la douleur des utilisateurs. Cette tâche te prend du temps ? OK, combien de temps ? Et cela te coûte combien ?

Concrètement, on a constamment les interrogations suivantes. Je suis un client, cette fonctionnalité est sortie hier : comment vais-je la trouver ? Comment vais-je la prendre en main ? Comment vais-je mesurer ses bénéfices ? Nous défendons la découvrabilité au sein du produit, nous défendons les deep links, nous défendons les leviers qui devront être mis en place pour augmenter son adoption etc. Cela peut paraître superficiel mais ces éléments sont nécessaires pour qu’une fonctionnalité ait du succès.

Y a-t-il un·e PMM par équipe produit chez Qonto ?

T. G. : Non, le ratio est aux alentours de 3 Product Managers pour 1 Product Marketing Manager. C’est encore un peu élevé mais je pense qu’il serait un peu excessif de viser le 1 PM pour 1 PMM. Dans notre secteur, il y a certaines fonctionnalités que l’on n’a pas vraiment besoin de “vendre”. Je pense à des obligations juridiques ou réglementaires, des changements techniques du système etc.

Par ailleurs, il y a toute une partie du travail des PM, notamment en ce qui concerne la delivery et la QA, où l’on a moins besoin d’être en première ligne.

Vous avez recruté beaucoup de PMM chez Qonto alors que cette discipline est encore très jeune. Comment avez-vous fait pour trouver vos profils et sur quelles compétences les avez-vous choisis ?

T. G. : Déjà, je dirais que le rôle de PMM peut être radicalement différent d’une entreprise à l’autre, dépendamment du secteur d’activité, de la taille de l’entreprise, du rattachement à la fonction produit ou marketing etc. Autrement dit, tant qu’on n’a pas parlé à la personne, on ne peut pas vraiment savoir de quel type de PMM il s’agit.

Après, je remarque une confusion fréquente pour ce poste. On a beaucoup de personnes qui postulent avec des expériences en marketing numérique. J’exagère volontairement, mais il y a une différence énorme entre savoir lancer des campagnes sur Facebook et partir d’une situation complexe pour la transformer en positionnement produit compréhensible par tous. Ce ne sont pas du tout les mêmes compétences requises. 

Mon équipe RH me dit souvent que je recherche un “mouton à 5 pattes” (NDLR : en français dans le texte) ! C’est vrai que c’est un mélange assez bizarre de compétences et c’est pour cela que ce sont des profils très difficiles à trouver. Il y en a très peu en Europe. 

Dans l’idéal, nous recherchons des personnes qui ont une expérience dans la vente et le produit. Et quand je dis produit, je veux dire SaaS pour nous chez Qonto. On a des personnes qui viennent de L’Oréal par exemple mais ce n’est pas du tout le même type de product marketing.

En résumé, je dirais qu’il s’agit d’une combinaison entre compréhension des clients, de la vente et du produit, sans oublier la gestion des parties prenantes et l’analyse d’indicateurs de performance. Sachant que chez Qonto, on cherche en plus des gens ambitieux mais humbles à la fois.

Sacré défi en effet… Question classique pour finir, que tu as effleuré à l’instant : le product marketing, côté produit ou marketing ?

T. G. : Chez Linkedin, je reportais au Chief Marketing Officer (CMO), chez WeWork, au responsable des ventes et chez Qonto au Chief Product Officer (CPO). Donc je connais toutes les situations !

Si l’on doit rendre compte au CMO, je doute que l’on soit en mesure d’influencer directement le produit. D’autant que, je l’ai vu chez Linkedin, l’être humain est par nature motivé par les objectifs qu’on lui fixe. Si au marketing tes objectifs d’équipe n’ont rien à voir avec le produit, tu ne vas pas t’y intéresser plus que cela. Car la personne qui décide de ton salaire, de tes promotions et de tout le reste, c’est le CMO. Donc tu dois justifier des KPI en rapport avec ses enjeux à lui.

Je préfère personnellement être dans l’équipe produit car cela nous donne la possibilité de pouvoir être impliqué très tôt dans la conception.


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