Après de multiples expérience dans la Tech et le produit, Mathieu Seguy a rejoint le cabinet de conseil en Product Management Thiga où il a créé puis dirigé le département Product Marketing, jusqu’à septembre dernier. Entrevue sur ses convictions et apprentissages.

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🔗 Cet article est l’épisode 5 de notre Collection « Product Marketing – Découvrir les fondamentaux »

Salut Mathieu, commençons par donner un peu de contexte. Tu nous racontes comment tu as débuté dans le Product Marketing ?

M.S. : Je suis tombé dedans en 2014, en tant que première personne au produit de l’entreprise de Télécom Sewan. On se cassait la tête à faire de bons produits mais, comme ils étaient très tech, on se rendait compte que le marketing ou les ventes avaient du mal à en parler et à mettre en valeur les principaux bénéfices utilisateurs. 

Pour lutter contre cette frustration, j’ai pris une casquette Product Marketing en participant aux rendez-vous avec les Sales. On voit bien ici que le product marketing permet d’amener le produit un peu plus loin d’un point de vue business.

En 2020 tu rejoins Thiga où, l’année suivante, tu montes le département Product Marketing. Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre cette décision ?

M.S. : On voyait qu’il y avait une grande acculturation des équipes tech sur le produit et l’agilité. Mais qu’il manquait une forme de liant avec les autres équipes, notamment pour savoir comment on “market” et on vend son produit. Donc on s’est dit qu’il fallait faire rayonner le product marketing en France pour faire le pont entre le produit et le business.

C’est ainsi que tu définirais le product marketing ?

M.S. : Oui, clairement. C’est créer un lien entre d’un côté l’écosystème product & Tech et de l’autre tous les points de contact business. Ce sont finalement deux cultures très différentes. Et ce lien se fait dans les deux sens.

D’une part, au product marketing, on comprend le produit avec une vision business. On est capable de “traduire” une fonctionnalité en un bénéfice client, on sait à quelle typologie de clients on parle, on accompagne les Sales et le marketing pour mieux communiquer sur le produit…

D’autre part, on peut aussi influencer la roadmap grâce à notre connaissance business. On sait par exemple pourquoi les Sales gagnent ou perdent des contrats. Autrement dit, on est un peu la partie prenante business des PM, afin d’éviter que tout le monde vienne constamment toquer à leur porte et les submerger. Même si ces derniers restent les garants de la roadmap et de la priorisation.

Prenons le RICE par exemple (NDLR : un modèle de priorisation). Les PM ont parfois de la difficulté à appréhender les deux premières dimensions, la portée (Reach) et l’Impact. Nous, notre rôle, c’est de les aider avec des insights business.

Source : Thiga

Tu as créé un framework de compétences du Product Marketing. Tu peux nous en parler, ce qui permettra de faire le point sur les grandes missions des Product Marketing Managers.

M.S. : Oui, sur la base d’une petite centaine d’interviews avec des gens du produit, j’ai défini le rôle autour de 3 grandes disciplines et 8 activités.

1. Understand

Il s’agit de tout ce qui tourne autour de la compréhension, avec, à l’intérieur, deux choses : 

  • La compréhension de l’écosystème (la concurrence, les tendances du marché, la réglementation…)
  • La compréhension de mes acheteurs (définition d’un Profil de Consommateur Idéal (ICP) afin d’en déceler les motivations et voir à quel moment du cycle de vente ils interviennent)

2. Shape

Ici, c’est tout ce qui va façonner le produit. J’y place 3 items : 

  • Le positionnement produit (définition de la place de mon produit sur son marché en mettant en valeur ses éléments différenciants)
  • Le pricing (Analyse du modèle économique au sens large, c’est-à-dire ton modèle tarifaire, ta fréquence de facturation, la conception de tes différents plans etc.)
  • Le message (la transposition des fonctionnalités en bénéfices produit puis en bénéfices clients selon mes persona et que cela se ressente notamment dans le ton et le copywriting du produit)

3. Execute

Cette dernière partie, que j’aurais pu appeler Activate aussi, est liée à la mise sur le marché et comprend 3 éléments elle aussi : 

  • Le Go-to-Market (la conception des plans de lancements comprenant toute la partie formation des Sales ou du support client et la promotion du produit en tant que tel)
  • Le Go-to-Customer (la stratégie pour mettre le produit dans les mains des utilisateurs une fois qu’il est lancé. Ce sont tous les leviers pour favoriser son adoption et sa notoriété, que cela soit par des articles de blog, un product tour, un bon onboarding etc.)
  • Les indicateurs (je l’ai mis à la fin mais il existe en réalité en transverse. On est des gens du produit donc on reste product-informed et il faut pouvoir mesurer comment le produit a une influence sur les revenus de l’entreprise en suivant des indicateurs business, tandis que les PM seront plus sur des indicateurs d’usage).

Cela permet à certaines boîtes de faire leur description de poste mais il faut bien voir que c’est une vision théorique. Dans la pratique, tu ne vas peut-être pas avoir le mandat sur l’ensemble de ces éléments. Chez Doctolib par exemple, ils ont énormément de Sales avec une Sales Academy dédiée. Donc toute la partie Sales enablement, ce ne sont pas les PMM qui s’en occupent.

Source : Thiga

Dans quelle équipe doit être le Product Marketing ? Est-ce que tu as une conviction en la matière ?

M.S. : D’après les études, notamment celle de LPC ou de la Product Alliance aux États-Unis, on constate que le Product Marketing se situe grosso modo dans 70 % des cas au sein de l’équipe marketing. Moi, j’ai une conviction forte, forcément biaisée par mon expérience, c’est qu’il faut bosser côté produit !

Pourquoi ?

M.S. : Aujourd’hui, le Product Marketing est un métier relativement méconnu encore. Le biais d’être côté marketing, c’est de nous voir comme une usine à contenus, au service du marketing et des Sales, non pas dans l’anticipation mais dans la réaction. On risque ainsi de perdre le lien avec le produit et de se situer finalement très loin de la valeur. Sachant que c’est un métier très marketing par essence, en termes d’exécution. 

Je recommande d’être au produit car on sera immergé avec le product management et le product design. On va être obligé de manger du produit. Ce qui va permettre de bien comprendre comment il fonctionne et de pouvoir ainsi contribuer à la stratégie produit. Ce n’est pas parce que notre responsable est un ou une CPO qu’on ne va pas parler quotidiennement avec les ventes ou le marketing.

À quel moment selon toi faut-il ajouter une fonction de Product Marketing dans sa boîte ?

M.S. : J’ai une autre conviction forte sur cette question : tant que tu es en pré Product Market Fit, il vaut mieux avoir une très bonne personne au Product Management qui va déborder de son rôle, plutôt qu’un·e Product Marketing Manager.

Il faut bien voir que les disciplines existent avant les rôles. Cette casquette de Product Marketing, elle existe dès le début d’une entreprise et est généralement portée par l’équipe fondatrice. C’est elle qui connaît le marché et qui va positionner et parler de son produit. La naissance d’un rôle spécifique se fait a posteriori, généralement pour maintenir son Product Market Fit, car le marché, qu’on le veuille ou non, change constamment.

D’habitude, pour les startups, le Product Marketing apparaît au-delà d’une cinquantaine de personnes et de 2-3 Product Managers.

Un mot sur le recrutement. Quels sont les profils que tu regardes en priorité personnellement ?

M.S. : Déjà, il est évident qu’on va trouver pour le moment plus de personnes avec un profil marketing en reconversion que produit. Ensuite, moi je regarde surtout les soft skills : la curiosité, la créativité, l’empathie, le leadership latéral (pour discuter avec plein de parties prenantes), la rigueur… Et aussi le fait d’avoir un gros sens business.

Le fait de ne pas avoir de compétence produit n’est pas bloquant ?

M.S. : Je dirais qu’il faut avoir les bases : comprendre l’écosystème produit, savoir ce qu’est une roadmap, un sprint, l’agilité etc. De ce point de vue, avoir travaillé de près ou de loin avec un ou une Product Manager est un plus. 

Mais si la personne est dans l’équipe produit et qu’elle est bien câblée, elle va être dans un environnement produit très fort et elle va apprendre rapidement. Sachant qu’on ne demandera jamais à un ou une PMM d’écrire une User Story. De ce point de vue, les compétences marketing vont primer car ce rôle est très proche du marché et des consommateurs. C’est pour cela que des Customer Success font souvent de très bons Product Marketers. Sachant que quand je dis marketing, je n’entends pas savoir faire des kakémonos !  

Faisons-nous un peu l’avocat du diable : est-ce qu’il n’y a pas un risque que les Product Marketers empiètent sur le terrain des Product Managers et créent une sorte de doublon ?

M.S. : C’est sûr que si les Product Managers avaient l’habitude de beaucoup parler aux gens du business, le Product Marketing peut venir couper cette relation. Mais il faut être clair sur notre raison d’être : on n’est pas là pour prendre le boulot de l’autre mais pour l’aider à mieux faire.

Je citerais Lucie Casamitjana, la Product Marketing Lead de Skello : les PM sont capables de faire du Product Marketing… mais est-ce que ce sont les personnes les mieux placées pour le faire ? Je suis d’accord. Si un PM fait très bien sa discovery et sa delivery, en vrai, il n’a pas vraiment le temps de faire autre chose.

Généralement, de ce que j’ai vu, les PM sont plutôt soulagés quand le Product Marketing arrive. Car ils reconnaissent que les Go-to-Market sont souvent faits à l’arrache. Le problème que je vois plus, ce sont les Product Marketers qui n’ont pas de mandat clair dans leur boîte.

Pour donner des illustrations concrètes, quel est le rôle des PMM lors des phases de discovery ou de conception de la roadmap ?

M.S. : Le ou la PM reste garant(e) de la roadmap. Nous intervenons en support pour donner du poids à la valeur business. Dans les boîtes, les Sales ont, bien souvent, peu la culture produit et ils demandent aux PM : “Il me faut à tout prix cette fonctionnalité pour conclure ce contrat”. 

Nous, ayant plus de compréhension du produit, on est en capacité de venir avec une crédibilité supplémentaire et une liste déjà filtrée et priorisée de doléances du service client, du marketing, des ventes… Ce qui fait gagner du temps !

Pour la discovery, on est un élément du trio avec le Product Management et le Product Design. C’est juste qu’on ne va pas chercher les mêmes choses. On va porter notre attention sur la sensibilité au prix, l’appétence à acheter le produit, le mode de consommation de l’acheteur etc. C’est rare qu’on soit en lead, sauf pour des fonctionnalités liées au pricing.

Si tu regardes le livre Discovery Discipline, la troisième partie du framework, “Claim”, dont l’objectif est d’imaginer un positionnement narratif matérialisé par un tweet, c’est clairement du Product Marketing.

Un dernier mot sur l’essor grandissant du Product Marketing dans l’écosystème. À quoi est-ce que tu l’attribues ?

M.S. : Je pense qu’il y a une partie du travail de sensibilisation qui porte ses fruits. Le fait d’en parler fait prendre conscience à certains des problèmes qu’ils vivent au quotidien. Il ne faut pas se voiler la face, il y a aussi une part de hype. En mode “Tout le monde a du Product Marketing, il nous en faut aussi !”

C’est d’ailleurs un écueil dans lequel les Product Marketers ne doivent pas tomber : quand ils voient une fiche de poste, il faut bien savoir lire entre les lignes et voir ce que veut dire Product Marketing pour la boîte. Car on voit de tout : faire des événements, du contenu, de la Growth… En fait, il faut regarder s’il y a des mandats sur le produit ou si c’est juste un poste de Marketing Manager dédié à un produit.


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