💡 Cet article fait partie de la Collection Arriver à la parité dans son orga produit

En juin dernier, on publiait un vaste dossier d’éloge de la parité dans le produit. Dans lequel on annonçait une (petite) suite exclusivement dédiée au sujet du recrutement. En parallèle, le 23 juin dernier, les podcasts Clef de voûte et Product Squad organisaient une conf’ en ligne 100 % féminine. Dont voici la synthèse. 

Pour que cela soit le plus opérationnel possible, on l’a découpé en 4 sous-parties qui adressent autant de bonnes pratiques sur des thèmes bien distincts : le recrutement, les quotas, la progression de carrière et les salaires.

C’est parti !

1. Le recrutement : “Des femmes, quand on en cherche on en trouve”

La phrase est de Maïa Metz, la cofondatrice de la formation en product management Noé. “Faut juste travailler son pipe : c’est toujours ma réponse quand on me demande comment on fait pour recruter des meufs”, complète-t-elle. Quand elle et son équipe commencent à recevoir beaucoup plus de candidatures masculines, ils remettent un coup d’accélérateur dans des groupes meetup ou Slack plus féminins. Histoire de juger tout le monde de la même manière. 

“J’avais un cabinet de recrutement qui ne m’envoyait que des candidatures de mecs. Un moment, je leur ai dit de faire un effort dans leur sourcing car ce n’était plus possible !”, renchérit Inès Levy, head of product chez Explain. 

Ce qui passe également par une rédaction “attractive” et non excluante de ses offres d’emploi. “Quand on a commencé à écrire de manière inclusive, on a tout de suite eu plus de femmes dans nos processus de recrutement. Dont certaines qui nous ont directement écrit pour nous dire qu’elles avaient apprécié de se sentir incluses en lisant notre offre”, illustre Christopher Parola, le CPO de Meilleurs Agents. 

“Quand on a commencé à écrire de manière inclusive, on a tout de suite eu plus de femmes dans nos processus de recrutement. » (Christopher Parola)

Laure Nilles, sa collègue, précise :

“Globalement tout le champ lexical de la concurrence extrême, de la guerre ou de la compétition sportive : « sans peur », « ambitieux », « chasseur »… c’est dévastateur pour des candidatures féminines. Il y a aussi les objectifs très marqués, une notion de challenge omniprésente, du vocabulaire très rationnel et autour de la perfection : « forte expertise », « maîtrise parfaite »… Et je ne parle pas des mots geek comme “ninjas du code” ou des entreprises qui parlent de l’importance de Fifa dans leur ambiance de boîte.”

Dans un épisode du podcast Product Tape, Kamal Hami-Eddine, Head of Product chez Moona se montre encore plus concret : “Tu n’auras pas les mêmes profils si tu indiques dans ton annonce “On recherche un leader dans l’âme qui nous aidera à conquérir ce marché” plutôt que “On recherche la personne qui permettra à l’équipe de progresser et à nous faire devenir numéro 1”. Même si la mission est la même”.

Annonce vue récemment sur Linkedin. “On recrute des stars du product” suivi de la petite icône explosion. On doute que la personne ait reçu beaucoup de CV féminins…

Une anecdote particulièrement révélatrice. En septembre 2018, Audrey Pedro arrive chez Shift Technology, sa nouvelle boîte. Sauf que, si elle avait vu l’offre d’emploi de son poste, elle n’y serait pas allée spontanément !

“On retrouvait un vocabulaire très guerrier, du style “On va conquérir le monde”. Moi, ça ne me parle pas des masses en tant qu’individu. Il n’y avait pas non plus de section produit mais plutôt “engineering”, et on parlait beaucoup de tech et de code. Je me rappelle aussi que je n’avais pas tous les critères. J’ai ce truc très féminin de ne pas vouloir postuler tant que je ne coche pas toutes les cases…”, se rappelle-t-elle. 

Si elle n’a pas vu l’offre en question, c’est qu’elle a tout simplement été contactée directement par le VP Product qui lui a expliqué ce qu’il voulait faire. Deux salles, deux ambiances. 

“Dire que recruter des meufs, c’est pas facile car il n’y en a pas beaucoup et qu’on ne les trouve pas, ça ne suffit plus, résume Chloé Martinot, cofondatrice d’Ouvrage et ex CPO de ManoMano. Il faut juste comprendre qu’elles vivent plus souvent le syndrome de l’imposteur et qu’elles postulent moins si elles n’ont pas toutes les conditions exigées”.

“Quand on demande 4 ans d’expérience, tu vas souvent avoir des mecs avec 2 ans d’expérience qui vont tenter leur chance alors que certaines femmes de 6 ans d’expérience vont hésiter. Il faut avoir ces biais en tête”, ajoute Marion Beaufrère, head of product chez Luko. 

2. Les quotas : “Créer un déséquilibre temporaire pour arriver à un équilibre durable”

Quotas. Pour certains et certaines, c’est un gros mot. Pour la majorité des personnes interrogées et participantes à la conférence en ligne Women in Product, c’est au contraire un outil qui peut enclencher le changement. 

“On serait encore en train d’attendre notre présence au board des conseils d’administration sans quota. Bizarrement, depuis qu’il y a une loi et des amendes, on trouve des femmes !, lance Caroline Ramade, la fondatrice de 50inTech. Et si on était encore plus dur, je suis sûr qu’on verrait aussi les écoles d’ingé se bouger un peu plus les fesses”.

Pour elle, les quotas sont insuffisants en soi et décevants intellectuellement, mais, tant que les choses ne se régulent pas de manière naturelle, ils sont nécessaires car ils impulsent un cercle vertueux. “Faire entrer une femme dans une équipe tech, ça va apporter une culture qui donnera confiance à d’autres femmes. Les quotas, c’est créer un déséquilibre temporaire qui va créer un équilibre durable plus tard”, assure Marion Beaufrère.

Par exemple, à l’époque où Maïa Metz était VP Produit de Aircall, les deux équipes paritaires de l’entreprise… étaient dirigées par des femmes.

“J’ai eu des nanas qui m’ont dit qu’elles étaient venues en entretien parce qu’elles voulaient que leur prochain manager soit une femme. Ça joue clairement”, affirme-t-elle.

Un point de vue partagé par Amandine Durr, directrice produit chez ManoMano, récemment dans Le Ticket.

“Tu as une boîte avec 3 mecs fondateurs. OK. Tu mets alors 3 femmes dans ton comité de direction et ça changera tout seul ! C’est bête et méchant mais c’est le truc le plus simple à faire”, poursuit Audrey Pedro, aujourd’hui CPO de Scaleway. Pour elle, l’accusation traditionnelle contre les quotas, à savoir que cela crée une injustice en favorisant l’embauche de personnes potentiellement moins bonnes, est perfide et infondée.

“J’ai eu des nanas qui m’ont dit qu’elles étaient venues en entretien parce qu’elles voulaient que leur prochain manager soit une femme« . (Maïa Metz)

“A la suite de mon recrutement, j’ai une personne qui m’a expliqué qu’elle vote toujours pour des femmes leaders fortes. J’ai été surprise car je ne sais pas si j’ai été prise parce que j’étais une femme ou bien pour mes compétences”, témoigne malgré tout cette PM d’une grande entreprise du numérique.

“La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente”, répond Amandine Durr, paraphrasant MADAME Françoise Giroud. 

3. La progression de carrière. “Si tu ne demandes pas, tu n’as pas”

Autre sujet évoqué dans le talk Women in product : la progression de carrière. Pour Amandine Durr, c’est clair : “Il faut être très explicite et oser parler de ses ambitions”. C’est un peu comme au Loto : 100 % des gagnants ont participé.

“Si tu ne demandes pas, tu n’as pas. Mais ce n’est pas parce que tu demandes que tu vas avoir”, précise Mélanie Reversat, senior product manager chez Dataiku.

Audrey Pedro pointe en effet le côté “bonne élève” de certaines femmes (notamment d’elle, à un certain moment) qui attendent que leur travail parle pour elles. Et que leur progression se fasse naturellement. “Dans un rôle de leadership, il ne s’agit plus juste de faire bien son métier. Il faut le faire savoir et nouer des relations avec les autres leaders. Moi, je ne savais très clairement pas comment faire”, indique-t-elle.

“Dans un rôle de leadership, il ne s’agit plus juste de faire bien son métier. Il faut le faire savoir et nouer des relations avec les autres leaders. » (Audrey Pedro)

Depuis, elle a appris et donne un conseil en la matière :

Demandez toujours pourquoi on ne vous donne pas le poste que vous demandez. Dans le but de savoir sur quoi vous devez progresser pour l’atteindre”.

C’est ce qu’elle a fait d’ailleurs auprès d’un de ses responsables qui, à la fin de la discussion et de son argumentation… lui a finalement donné le poste !

4. Le salaire. “Il faut en parler ouvertement avec des hommes”

Être payée comme un homme”. C’était l’un des thèmes volontairement provocateurs de la conf Women in Product. Enfin, pas tant que cela quand on regarde le baromètre LPC des salaires dans le produit

Pour Chloé Martinot, il y a déjà un sujet sociétal profondément ancré. “Personnellement, je croyais que demander de l’argent, cela voulait dire être vénale…” Mélanie Reversat se rappelle d’une anecdote à ce sujet :

J’étais manager d’une équipe paritaire à un moment. Et j’avais demandé à tout le monde de préparer un argumentaire pour demander une augment’. Au moins pour s’entraîner. Et bien les seuls qui ont cherché à avoir beaucoup, ce sont les garçons. Les filles, elles, s’excusaient presque de demander de l’argent”.  

Le conseil de Chloé Martinot ? Parler ouvertement de thunes avec des hommes. Exercice qu’elle a fait… pour se rendre compte qu’elle était payée entre 15 % et 30 % que ses collègues de même niveau !

“L’argumentation à avoir pour se faire augmenter, c’est de dire : “Si vous recrutez une personne de mon expérience à mon poste, ça coûterait tant selon le prix du marché. Et je vous fais cadeau du fait que je connais déjà les process internes, que je fit avec la culture, que vous m’avez déjà testée, bref que je suis onboardée”. Il faut y aller avec des faits”, explique-t-elle.  

“J’ai vu des trucs assez vénères. Comme des boîtes qui te font comprendre entre les lignes qu’elles souhaitent recruter des femmes juniors car c’est plus facile à manager, plus flexible et que ça coûte moins cher…”, assure un recruteur du milieu. 

Amandine Durr

« C’est la responsabilité du ou de la leader d’équipe de vérifier que toutes les personnes de son équipe sont traitées de façon équitable” (Amandine Durr)

“Moi, je me suis beaucoup fait avoir…”, confie ouvertement Audrey Pedro. Elle invite d’ailleurs les recruteurs et recruteuses à se former sur les enjeux des biais (elle cite le cabinet The Allyance par exemple). Ce qui permet d’éviter de tomber dans la fameuse question piège “Combien es-tu payé.e actuellement ?“, qui entretient le cercle vicieux quand la personne est déjà en dessous du marché. Elle lui préfère “Quelles sont tes attentes pour le poste ?”… et n’hésite pas à offrir plus que ce que certaines candidates demandent.

“C’est en effet la responsabilité du ou de la leader d’équipe de vérifier que toutes les personnes de son équipe sont traitées de façon équitable”, atteste Amandine Durr.

Sachant que les femmes, généralement, osent aussi moins négocier leur salaire à l’embauche que les hommes. “Il ne faut pas lâcher, conseille Chloé Martinot. Si l’entreprise pinaille pour 5K, on peut renverser la situation et ramener le différentiel en un montant par jour. En mode, c’est dommage que ça ne le fasse pas pour 20 euros par jour !”

Avant de poursuivre :

“Le salaire peut plus souvent être un facteur de démotivation que de motivation. C’est ce qui peut vous faire quitter la boîte s’il est trop en dessous du marché et de votre valeur”.

“Quand on se rend compte qu’on est les dindons de la farce, c’est du perdant – perdant, pour nous et pour l’entreprise”, ajoute Audrey Pedro. 

Une question de Gloria, une internaute (elle en l’occurence), arrive alors sur le tchat : quelle est la probabilité qu’on ne soit pas embauchée si on refuse le premier salaire proposé ? Réponse cash de Marion Beaufrère :

“0 % ! C’est déjà tellement compliqué de recruter alors quand on a trouvé la bonne personne, on ne la lâche pas”.

De quoi rassurer… et de promettre de meilleures négos à l’avenir. 


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